par Jean-Michel Bernad
Droit du travail, structuration des entreprises et conduite du changement
Le Ministère du Travail (code du travail numérique) défini le droit du travail comme celui qui « organise les relations professionnelles de travail entre l’employeur et le salarié individuellement et la collectivité des salariés ».
Cette présentation correspond à la définition la plus communément partagée : le droit du travail gère les relations individuelles et des relations sociales au sein de l’entreprise., dans une optique de protection des droits des salariés.
Si cette acception est toujours pertinente, il est possible d’affirmer que le droit du travail est devenu également un outil de gestion qui accompagne la structuration des entreprises et la conduite du changement au sein de ces dernières.
Le droit du travail et la structuration des entreprises
La structuration des entreprises doit être distinguée de la notion voisine de restructuration, le plus souvent assortie de suppressions d’emploi, négociées ou contraintes.
Le « restructuring », qui mobilise des compétences spécifiques au sein de nos cabinets d’avocats, accompagne les opérations de restructuration d’entreprise sous la pression des impératifs économiques et financiers.
Fort heureusement les équipes dirigeantes des entreprises travaillent plus fréquemment sur la structuration de leur entreprise, au fil de l’eau peut-on dire, dans un objectif permanent d’adaptation de leur organisation et de leur fonctionnement à leur marché et aux évolutions techniques.
Dans cette configuration le droit du travail est un outil participant à la structuration de l’entreprise.
Quelques exemples :
- Les accords reconnaissant l’existence d’une unité économique et sociale (UES) :
Dans cette appellation l’économique précède le social et ce n’est pas un hasard.
Pour les signataires de l’accord d’UES, il s’agit de construire conventionnellement une structuration des relations sociales qui soit le décalque le plus fidèle possible de la structuration économique et financière. La réalité du pouvoir économique et des relations de complémentarité entre les entreprises concernées déterminera le découpage des instances représentatives du personnel et déterminera les lieux de négociations sociales.
L’appétence croissante des entreprises pour l’outil UES est incontestablement liée au besoin d’adaptation permanente des organisations auxquelles elles sont de plus en plus confrontées.
- Les accords de classification
Avec la nécessaire évolution des emplois liée notamment à l’impact de l’intelligence artificielle et du développement durable sur le contenu des activités, des métiers et donc des emplois, les branches professionnelles et les entreprises se sont attachées à renégocier leurs grilles de classification des emplois.
Cette contrainte a été l’occasion de se rappeler que la classification des emplois doit être construite en cohérence avec la structuration de l’activité : de quelles compétences l’entreprise doit-elle disposer, aujourd’hui et à moyen terme, pour assurer la production industrielle ou de services ?
- Les accords d’organisation du temps de travail :
Si les années 1999/ 2000 ont été les années phares de la négociation sur l’organisation du travail du fait du passage aux 35H, les années 2020 et suivantes relancent le sujet, notamment du fait de l’émergence du télétravail.
Abordé tout d’abord dans le cadre des négociations sur les conditions de travail, le sujet s’est imposé durant le confinement lié à l’épidémie de la COVID 19, pour devenir prioritaire pour des entreprises, et non des moindres, qui en font une nouvelle référence organisationnelle et managériale : une organisation agile sans bureau !
Ces exemples illustrent la place de la négociation sociale dans les processus de structuration des organisations.
Le droit du travail et la conduite du changement
Nous assistons à une accélération des changements, que ceux-ci soient initiés par les marchés (globalisation, autonomie…) les évolutions techniques (intelligence artificielle…) les enjeux planétaires (développement durable…) ou les références sociétales (télétravail, cultures générationnelles…).
Les entreprises ont dû investir dans des méthodes de « conduite du changement » leur permettant d’améliorer leur efficience pour s’adapter à ces évolutions.
Le droit du travail, et en particulier celui des relations sociales, propose des outils qui participent à la conduite du changement.
Quelques exemples :
- Les accords de méthode :
Utilisés dans un premier temps pour accompagner les restructurations, ils sont devenus un outil de référence à disposition des entreprises pour accompagner la conduite de projets et de négociations complexes.
Leur premier intérêt, trop souvent ignoré, consiste à reconnaitre la place de chaque institution représentative dans l’entreprise (syndicats signataires mais aussi CSE, chacun pour ce qui est de son domaine).
Au-delà, et c’est leur objectif prioritaire, ils organisent la répartition des rôles entre les acteurs de la négociation sociale, définissant les objectifs poursuivis, le calendrier, les moyens affectés et la manière dont celui-ci sera concrétisé.
Les accords de méthode permettent une articulation étroite entre la conduite d’un projet opérationnel et sa déclinaison sociale.
- La gestion de l’emploi et des parcours professionnels (GEPP) :
Déclinaison managériale de la classification, la GEPP est l’outil à privilégier pour accompagner les changements d’organisation ayant des impacts sur le contenu des emplois.
Les accords GEPP accompagnent la mobilité professionnelle interne et externe, promotionnelle ou transverse, ils offrent, avec les référentiels emplois-compétences, aux collaborateurs une vision dynamique de leur présence dans l’entreprise. Ils participent aux efforts déployés pour maintenir et développer ses compétences et donnent du sens aux actions individuelles et collectives.
Ils s’accompagnent utilement de référentiels managériaux qui déclinent les valeurs managériales de l’entreprise et accompagnent utilement la conduite du changement.
Il faut enfin souligner que les outils juridiques, les approches organisationnelles et process de toutes natures sont insuffisants pour atteindre les objectifs poursuivis si on n’intègre pas dans la conduite de projet la gestion des pratiques et modes de management usuels dans l’entreprise ainsi que le positionnement des acteurs syndicaux et hiérarchiques.
Pour les DRH et les conseils qui les accompagnent, l’articulation de ces deux facettes du droit du travail, structuration et conduite du changement, participe à l’efficacité des conduites de projets complexes. Elle permet de conjuguer atteinte des objectifs économiques et prise en compte des attentes des salariés.