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Droit du Travail
par Alexandra De Vasconcelos

Intérimaires et élections professionnelles comité social


Au début de l’année 2023, plus de 800 000 travailleurs intérimaires étaient décomptés[1]. Ces travailleurs interviennent généralement dans des domaines bien spécialisées. Ils sont particulièrement concentrés dans les secteurs de la construction et de l’industrie, représentant respectivement 8,2 % et 7,8 % de leurs effectifs[2]. Dans les entreprises de ces secteurs, les travailleurs intérimaires forment ainsi et souvent une part conséquente de la main-d’œuvre totale.

Cependant, en dépit de cette présence marquée, la situation des travailleurs intérimaires est souvent oubliée, notamment lorsqu’il s’agit de prendre en compte leurs revendications et de négocier leurs conditions de travail. Ce constat est accru par le fait que les travailleurs intérimaires ont une propension à se syndiquer particulièrement faible (moins de 1 %)[3]. Ils sont ainsi généralement exclus des processus de prise de décisions.

La situation actuelle marquée par le besoin croissant de main-d’œuvre et la pénurie de travailleurs qualifiés dans de nombreux secteurs devrait néanmoins pousser les entreprises à tenter de fidéliser les travailleurs intérimaires. Ce souhait de trouver, d’embaucher et de maintenir cette population suppose de garantir des conditions de travail équitables, de veiller à ce que leur voix soit entendue et de reconnaître leur rôle dans le fonctionnement de l’entreprise.

Cette année d’organisation des élections professionnelles en vue du renouvellement du comité social et économique pourrait donc être l’occasion de s’interroger sur l’inclusion et la prise en considération des travailleurs intérimaires dans le processus électoral.

Il s’agit au demeurant d’un sujet stratégique pour certaines entreprises utilisatrices dans la mesure où ces travailleurs sont susceptibles d’impactés le calcul des effectifs et, par voie de conséquence, la mise en place ou non de représentants du personnel, le nombre de représentant(s) à élire, le nombre de siège(s) à pourvoir, le nombre de collège(s) à définir ou encore l’étendue des prérogatives des instances représentatives du personnel.

Cette année de renouvellement des instances représentatives du personnel constitue ainsi une opportunité pour les entreprises de vérifier et d’améliorer leurs pratiques à l’égard des travailleurs intérimaires.

La qualité de travailleur électeur et éligible de l’intérimaire dans l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice

L’intérimaire n’est ni éligible, ni électeur au sein de l’entreprise utilisatrice

En application du cadre législatif actuel, la participation des travailleurs intérimaires aux élections des représentants au comité social et économique de l’entreprise utilisatrice n’est pas permise. Il est en effet de jurisprudence constante que le travailleur mis à disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire ne peut pas participer aux élections des membres du comité social et économique de l’entreprise utilisatrice ( Cass. Soc., 25 janv. 1978, n° 77-60.619 ; Cass. Soc., 2 mai 1978, n° 78-60.022, Cass. Soc., 28 fév. 2007, n° 06-60.171 ; Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.287). Il n’est dès lors ni éligible, ni électeur au sein de l’entreprise utilisatrice, peu importe que celui-ci dispose de l’ancienneté requise.

À noter : Les salariés mis à dispositions ne sont pas soumis aux mêmes règles, s’ils sont en principe électeurs et éligibles dans leur entreprise d’origine, ils peuvent cependant choisir d’exercer leur droit de vote dans l’entreprise utilisatrice lorsqu’ils sont présents dans ses locaux et y travaillent depuis au moins 12 mois continus (C. trav., art. L. 2314-23).

Le travailleur intérimaire est électeur et éligible au sein de l’entreprise de travail temporaire, sous certaines conditions

Le travailleur intérimaire n’est toutefois pas totalement déchu de ses droits électoraux. En effet, conformément aux dispositions des articles L. 2314-20 et L. 2314-22 du Code du travail, le travailleur temporaire est autorisé à participer aux élections du comité social et économique de l’entreprise de travail temporaire s’il remplit certaines conditions.

Pour ce faire, il doit être lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat de mission et satisfaire à une condition d’ancienneté de trois mois, appréciée en totalisant les périodes pendant lesquelles le salarié a été lié à l’entreprise par des contrats de mission au cours des 12 mois précédant l’élection.

Cependant, même s’il répond à ces conditions, un intérimaire ne peut pas participer au vote s’il a fait connaître à l’entreprise de travail temporaire son souhait de ne plus bénéficier d’un nouveau contrat de mission, ou si l’entreprise de travail temporaire lui a notifié sa décision de ne plus faire appel à lui pour de nouveaux contrats de mission​.

Enjeux et discussion sur le droit de vote des travailleurs intérimaires

Bien que les travailleurs intérimaires disposent du droit de vote au sein de l’entreprise de travail temporaire, il convient de noter que ceux-ci accomplissent l’ensemble de leurs missions au sein de l’entreprise utilisatrice. Il pourrait toutefois apparaitre plus pertinent d’assurer une représentation des intérimaires là où leurs conditions de travail sont concrètement mises en œuvre. Limiter leur droit de vote au seul comité de l’entreprise de travail temporaire, sans leur permettre de participer à celui de l’entreprise utilisatrice, peut sembler inégal voir illégitime.

Ce point de vue doit être analysé en lien avec les dispositions du préambule de la Constitution. En effet, l’exclusion systématique des travailleurs intérimaires au sein de l’entreprise utilisatrice pose une question d’ordre constitutionnel. Le 8e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 affirme que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ». Cela implique que tous les travailleurs, indépendamment de leur statut, ont le droit de participer à la définition collective des conditions de travail.

La référence à cette norme constitutionnelle, trouve une résonance dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2021(Cons. constit, déc. n° 2021- QPC, 19 nov. 2021). Dans cette décision, le Conseil a censuré les dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail qui prévoyaient l’exclusion des salariés assimilés à l’employeur de la participation aux élections professionnelles. Par analogie, il serait donc intéressant de questionner l’exclusion des travailleurs intérimaires en se basant sur le même principe constitutionnel d’équité et de participation collective des travailleurs.

Dans l’attente d’un hypothétique revirement jurisprudentiel, il est actuellement prudent, pour les entreprises utilisatrices, de se conformer au cadre juridique actuellement en vigueur, qui prévoit l’exclusion des travailleurs intérimaires de la participation aux élections de leur comité social et économique.

Les modalités de prise en compte du travailleur intérimaire dans l’effectif de l’entreprise utilisatrice

Bien qu’exclus de la participation directe aux élections du comité social et économique de l’entreprise utilisatrice, les travailleurs intérimaires ne sont pas totalement ignorés dans le cadre des élections professionnelles. Ceux-ci sont en effet pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise utilisatrice.

Les travailleurs intérimaires sont décomptés dans les effectifs à proportion de leur temps de présence sauf s’ils remplacent un salarié absent

Conformément aux dispositions l’article L. 1111-2 du Code du travail, les salariés temporaires sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise utilisatrice à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents (C. trav., art. L. 1111-2, 2° ; Cass. soc., 26 janv. 1984, n° 83-60.926 ; TA Guyane, 17 oct. 2013, n°11/02069).

À noter :  Leur traitement est donc différent de celui des salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein qui sont intégralement pris en compte dans l’effectif de l’entreprise.

Toutefois, d’une part, le travailleur intérimaire est exclu du décompte de l’effectif s’il « remplace un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d’un congé de maternité, d’un congé d’adoption ou d’un congé parental d’éducation » (C. trav., art. L. 1111-2, 2°).

D’autre part, seul le temps d’appartenance à l’entreprise utilisatrice est pris en compte, peu important l’ancienneté dans l’entreprise d’origine (Cass. soc., 14 janv. 2004, n° 02-60.622).

La prise en compte des travailleurs intérimaires dans l’effectif de l’entreprise utilisatrice n’est pas négligeable dans la mesure où cela influence la mise en place du comité social et économique, le nombre de représentants à élire et de sièges à pourvoir, les collèges et l’étendue des prérogatives des représentants du personnel.

Le choix du collège de rattachement du travailleur intérimaire

En principe : un rattachement au collège selon une appréciation in concreto des fonctions et tâches réellement exercées

Une fois la prise en compte des travailleurs intérimaires dans l’effectif de l’entreprise réalisée, une nouvelle question peut se poser : celle du collège électoral de rattachement du travailleur intérimaire.

Le rattachement d’un intérimaire à un collège électoral – ouvrier, employé ou cadre – est un exercice complexe mais nécessaire dans le cadre des élections professionnelles.

La jurisprudence recommande de répartir le personnel dans les collèges électoraux selon leurs fonctions et les tâches réellement exercées ( Cass soc., 10 mai 1983, n° 82-60.624). L’employeur doit ainsi se livrer à une analyse in concreto des missions exercées par l’intérimaire. Cette approche consiste à examiner concrètement les tâches dévolues au salarié intérimaire pour déterminer à son collège d’appartenance.

À titre d’exemple, le protocole d’accord préélectoral de la Société Nord France Constructions propose ce type d’approche. Celui-ci prévoit une répartition des travailleurs intérimaires basée sur une évaluation concrète de leur situation. En d’autres termes, les intérimaires sont répartis sur l’ensemble des collèges électoraux en fonction des tâches et du poste sur lequel ils sont positionnés (Protocole d’accord préélectoral de Nord France Constructions, 12 avr. 2022).

Cet exercice peut toutefois être complexe et difficile, et au demeurant chronophage.  Tel sera par exemple le cas si le contrat de l’intérimaire n’est pas suffisamment complet et qu’il ne mentionne pas le statut conventionnel ou encore les tâches réellement dévolues.

Il est pourtant essentiel pour les entreprises d’adopter une démarche rigoureuse et objective dans l’évaluation des tâches réalisées par les intérimaires, afin de garantir leur rattachement correct à un collège électoral.

Les possibilités d’aménagement par accord conclu selon les conditions de double majorité

Les dispositions de l’article L. 2314-13 du Code du travail offrent la possibilité de modifier la répartition du personnel dans les collèges électoraux. Pour ce faire,  l’employeur et les organisations syndicales doivent s’entendre dans un accord conclu selon les conditions de l’article L. 2314-6 du Code du travail. Autrement dit, il est nécessaire que l’accord soit conclu avec la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation et que ces organisations aient recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections (s’il s’agit des premières élections, la majorité des organisations représentatives dans l’entreprise suffit).

Il est donc possible de s’interroger sur l’usage qui pourrait être fait de ces dispositions quant à répartition des intérimaires dans les collèges électoraux.

Bien que ces dispositions offrent une certaine flexibilité pour recomposer les collèges électoraux, il existe des limites à cette liberté. Il n’est pas possible de prévoir par accord, la création d’un collège réservé aux intérimaires comme l’indique la Cour de cassation :

« La division des travailleurs d’une entreprise en collèges électoraux ayant pour finalité d’assurer une représentation spécifique de catégories particulières de personnels, la constitution d’un collège électoral ne peut priver une catégorie de salariés de toute représentation en violation des droits électoraux qui leur sont reconnus pour assurer l’effectivité du principe de participation prévu par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Dès lors qu’il ne constate qu’aucun des salariés devant composer le premier collège n’est éligible au comité, privant ainsi le personnel le composant de toute représentation, les conditions légales de constitution de ce collège ne sont pas remplies et c’est à bon droit qu’un tribunal décide que le personnel doit être réparti en deux collèges composés respectivement des cadres et des non-cadres » (Cass. soc., 16 oct. 2013, n° 13-11.324).

En dehors de cette limite, au terme de laquelle il semblerait que les travailleurs intérimaires ne puissent pas composer à eux seuls un collège sans représentation possible, il n’est pas clairement prohibé de prévoir des aménagements par voie d’accord.

Il est ainsi possible de se demander si, pour éviter une surreprésentation d’un collège au détriment d’un autre, par exemple du collège ouvrier par rapport au collège cadre, il serait possible par voie d’accord de répartir les intérimaires non pas compte tenu de leurs fonctions mais de les répartir de manière égalitaire dans chaque collège.

Il conviendra d’attendre que la jurisprudence se positionne sur ce sujet pour répondre par l’affirmative et avec certitude.

[1] Dares, exploitation des déclarations sociales nominatives (DSN) et des fichiers Pôle emploi des déclarations mensuelles des agences d’intérim

[2] Insee, enquête Emploi, 2017

[3] Dares, analyses n°025, La syndicalisation en France, mai 2016

 

Pour aller plus loin : https://www.ellipse-avocats.com/2019/07/elections-professionnelles-faut%E2%80%91il-prendre-en-compte-linterim-dans-les-colleges-electoraux/

 

 


Alexandra De Vasconcelos

Avocat, Paris

Après son stage final au sein du Cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, elle intègre le Cabinet CAPSTAN Avocats en 2019 puis rejoint le cabinet Ellipse Avocats Paris en 2020.

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