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Droit du Travail
par Guillaume Dedieu

Élections professionnelles : faut‑il prendre en compte l’intérim dans les collèges électoraux ?


Cet article a été publié dans la revue les Cahiers Lamy du CSE du mois de juillet 2019 : lien article Cahier Lamy du CSE

Le recours au travail temporaire est récurrent dans certains secteurs d’activités professionnelles compte tenu, notamment, des délais extrêmement courts entre la commande et l’exécution, de la brièveté des missions ou encore de la grande variabilité des besoins entre deux commandes. L’emploi intérimaire peut alors représenter une part significative de « l’effectif » de l’entreprise. Sur le plan électoral, les conséquences en matière de représentation du personnel sont alors importantes.

Faut‑il prendre en compte l’intérim lors de la mise en œuvre des élections professionnelles ?

Par principe, le travailleur intérimaire exerce ses droits collectifs dans l’entreprise de travail temporaire qui l’embauche. Parallèlement, il peut aussi se faire représenter dans l’entreprise utilisatrice. En effet, le Code du travail prévoit que « les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des 12 mois précédents » (C. trav., art. L. 1111-2).

Cette prise en compte des salariés temporaires dans les effectifs permet de mettre en place une représentation du personnel tenant compte de l’effectif « réel » de l’entreprise (intérimaires inclus). Les salariés intérimaires peuvent avoir une influence sur les résultats du scrutin selon leur prise en compte ou non dans leur collège électoral de rattachement.

Pour rappel, le nombre de représentants du personnel à élire dépend de l’effectif calculé au niveau de l’entreprise ou de l’établissement distinct. En fonction de l’effectif retenu, le Code du travail détermine le nombre de membres de la délégation de personnel au CSE (C. trav., art. L. 2314‑1, C. trav., art. R. 2314‑1). Ce nombre peut être modifié dans le protocole préélectoral sous certaines conditions.

Lors de la préparation des élections, deux phases se distinguent : la première consiste à déterminer le nombre global de siège à pourvoir et le nombre de collèges électoraux ; la seconde phase consiste à répartir le personnel et les sièges à pourvoir entre ces collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314‑13). Cette distinction en deux phases n’est pas aisée car, en réalité, elles se recoupent. Le nombre de siège à pourvoir au sein d’un collège électoral dépend en effet du nombre de salarié qui le compose (Circ. DRT n° 93‑12, 17 mars 1993, 3.1 : BO Trav. n° 94‑1).

En pratique, c’est une fois le nombre de sièges déterminé que l’opération de répartition des sièges entre les différents collèges électoraux soulève la problématique du traitement des salariés intérimaires. Les salariés intérimaires sont‑ils pris en compte dans la ventilation des sièges entre collèges ou non ? En cas de réponse négative, un retraitement en fonction du nombre de salariés présents sur la seule liste électorale de chaque collège doit être effectué ?

  1. Les enjeux relatifs au traitement des salariés intérimaires

La prise en compte des intérimaires dans la répartition des sièges entre collèges est un sujet à forts enjeux. En fonction du nombre de sièges attribués à l’un ou l’autre des collèges, certaines organisations syndicales, plus fortement implantées au sein de l’un de ces collèges, en tirent un avantage pour obtenir un nombre supérieur d’élus au sein du comité social et économique (CSE). Cela est d’autant plus vrai que seuls les titulaires participent aux réunions du CSE ; la question de leur nombre est donc parfaitement d’actualité.

  1. Une situation qui n’est pas prévue par les textes

Le législateur n’a pas prévu de texte précis sur les modalités de répartition des sièges à pourvoir entre collèges électoraux. Il est seulement fait renvoi aux accords collectifs et, à défaut, aux grandes catégories de personnel : ouvriers et employés d’une part et ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés d’autre part. Aucune disposition particulière relative au traitement des salariés intérimaires n’existe. Les textes régissant le CSE n’ont pas non plus prévu d’aménagement supplémentaire.

À défaut de toute précision, il peut être utilement soutenu que la répartition des sièges s’effectue entre « collèges électoraux ». L’adjonction du terme « électoral » à la notion de « collège » peut sous‑entendre que sont seuls pris en compte les salariés électeurs, c’est‑à‑dire inscrit sur les listes électorales. Ce qui revient à exclure les salariés intérimaires du calcul de répartition des sièges entre collèges.

Une circulaire du ministère du travail du 17 mars 1993 (Circulaire DRT n° 93‑12 du 17 mars 1993 relative aux décisions de l’administration chargée du travail en matière de mise en place des institutions représentatives du personnel‑Fiche 6) a fait, en son temps, référence à une « règle de proportionnalité », sans pour autant la définir.  Le Code du travail a en parallèle prévu, pour la composition du comité de groupe seulement, que « le nombre total des sièges au comité de groupe est réparti entre les élus des différents collèges électoraux proportionnellement à l’importance numérique de chaque collège » (C. trav., art. L. 2333‑4). Est ici visé un principe de proportionnalité qui est retenu pour répartir les sièges entre les différents collèges électoraux lors des élections professionnelles au comité de groupe. Ces modalités pourraient trouver à s’appliquer pour l’élection de la délégation de personnel au CSE.

  • Les difficultés pratiques de prise en compte des intérimaires

Le critère de répartition entre les collèges est basé sur la nature des fonctions réellement exercées par les salariés, au‑delà de la qualité en laquelle ils les accomplissent. L’appartenance d’un salarié à un collège électoral est déterminée par la nature de l’emploi qu’il occupe effectivement (Cass. soc., 10 mai 1983, n° 82‑60.624).

En pratique, le classement des salariés intérimaires dans les collèges électoraux peut s’avérer complexe. Les salariés intérimaires ne bénéficient pas toujours clairement d’une classification conventionnelle permettant de les rattacher à un collège. S’il est aisé de différencier un salarié ayant des fonctions d’exécution d’un salarié ayant des fonctions d’encadrement, la principale difficulté se situe dans la distinction entre ouvriers et ETAM relevant du collège 1 ou du collège 2.

  • L’enjeu/le risque principal : La surreprésentation d’un collège électoral

La répartition des sièges entre les collèges peut avoir un impact important pour les organisations syndicales. Une organisation syndicale peut avoir intérêt à ce que les intérimaires soient comptés dans les effectifs d’un collège particulier (en fonction de leur classification) pour augmenter son nombre de représentants du personnel et augmenter son audience pour la durée du cycle électoral à venir.  À l’inverse, une répartition égale des intérimaires entre collèges avantagerait d’autres organisations qui pourraient avoir un nombre d’élus supérieur à celui qu’ils auraient obtenu en cas de répartition proportionnelle.

Les intérimaires sont souvent des personnels pouvant être assimilés à des ouvriers ou à des ETAM (collèges 1 et 2), et plus rarement des cadres. Une ventilation égale des intérimaires dans les trois collèges augmente « artificiellement » le nombre de sièges réservés aux collèges 2 et 3.

L’enjeu de la composition du CSE, au sein duquel seuls les titulaires sont présents, rajoute, si besoin, un intérêt à cette question.

  1. Un point de négociation ou à défaut, l’aléa de la décision administrative

Lorsqu’aucune organisation syndicale représentative dans l’entreprise n’a pris part à la négociation, (mais aussi lorsqu’une ou plusieurs organisations syndicales se sont présentées mais qu’aucun syndicat représentatif dans l’entreprise n’est présent) l’employeur répartit unilatéralement le personnel et les sièges entre les différents collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314‑14). Dans cette situation, c’est  donc à l’employeur d’arbitrer sur le traitement des salariés intérimaires, sous le contrôle possible du tribunal d’instance. Il en est autrement en présence d’organisations syndicales lors des réunions de négociation du protocole d’accord préélectoral.

  1. L’autonomie de décision des partenaires sociaux

Si le Code du travail ne précise pas les modalités de répartition des sièges entre les différents collèges, il prévoit néanmoins que la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux font l’objet d’un accord entre l’employeur et les organisations syndicales (C. trav., art. L. 2314‑13).

Autrement dit, que les salariés intérimaires soient pris en compte en intégralité, à moitié ou aucunement dans la répartition des sièges entre collèges, la clé de répartition retenue par les partenaires sociaux est incontestable. Peu important ce qui serait retenu à l’issue d’un contentieux administratif, le protocole d’accord préélectoral s’impose à tous. Le garde‑fou que constitue la condition de la double majorité pour l’adoption régulière du protocole préélectoral ne vient que renforcer l’autonomie des partenaires sociaux sur la problématique des intérimaires.

C’est uniquement lorsque les partenaires sociaux ne parviendront pas à trouver un accord que les aléas relatifs à l’arbitrage de l’administration sont susceptibles de survenir.

  • Les aléas inhérents à l’arbitrage de l’administration

En l’absence d’accord préélectoral et à la différence de la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts (Voir Les Cahiers Lamy du CSE « n° 186, nov. 2018 «Élections du CSE : la nécessaire déconnexion des négociations sur les établissements distincts et des opérations électorales. David Fonteneau et Guillaume Dedieu», l’employeur ne peut arrêter unilatéralement la répartition du nombre de sièges entre collèges, sous peine de nullité des élections (Cass. soc., 9 nov. 2011, n° 11‑60.029). Il ne peut donc imposer son point de vue sur la prise en compte ou non des salariés intérimaires dans cette ventilation des sièges. La saisine de la DIRECCTE est alors inéluctable.

Dans le cadre de son intervention et à défaut de textes précis, il appartient à la DIRECCTE d’appliquer « un critère de proportionnalité entre l’effectif de chaque collège et le nombre de sièges à pourvoir, tout en prenant en compte les circonstances particulières notamment liées à la composition du corps électoral de l’entreprise et au nombre de collège » (Cass. soc., 6 juin 2018, n° 17‑27.175). 

L’application à la problématique des salariés intérimaires de cette règle de proportionnalité associée à la prise en compte des circonstances particulières n’est pas sans incertitude pour les parties. Elle ne donne pas une tendance précise. Ainsi, la prise en compte de la composition du « corps électoral » tendrait à ne pas prendre en compte les salariés intérimaires dans la répartition du nombre de sièges.  À l’inverse, un volume important de salariés intérimaires au sein de la société pourrait constituer une circonstance particulière justifiant leur prise en compte dans le processus de répartition des sièges. Demeure enfin la problématique de la répartition des salariés intérimaires, compte tenu de la nature de l’emploi occupé. La DIRECCTE pourrait ainsi ne pas disposer des éléments d’information suffisants sur la classification réelle de ces salariés, bloquant leur rattachement objectif à un collège.

Au final, ce sont régulièrement des décisions peu explicables qui en ressortent. Les recours devant les Tribunaux d’Instance s’exposent également aux mêmes incertitudes (Cass. soc., 26 janv. 1999, n° 98‑60.256).

On ne saurait qu’anticiper cette question dans un contexte électoral particulier (l’échéance du 31 décembre 2019 s’applique à tous, date butoir de passage au CSE). Bien évidemment, les solutions retenues jusqu’ici lors des élections professionnelles précédentes dans l’entreprise constitueront nécessairement une référence pour les partenaires sociaux…comme pour la DIRECCTE.



Guillaume Dedieu

Avocat associé, Paris

Après l'obtention de son Master 2, intègre plusieurs fédérations sportives pour intervenir sur les questions d'emploi, de ressources humaines et de relations sociales. Exerce en qualité d'avocat au sein du cabinet Ellipse Avocats depuis 2014 à Lyon puis à Paris. Devient associé du bureau parisien au 1er janvier 2020.

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