par Arnaud Pilloix
Médecine du travail: une "réformette" dans la réforme!
Si je vous dis « réforme des retraites », vous pensez à l’allongement de l’âge légal ou de la durée des cotisations, aux possibles départs anticipés, au montant des pensions…
Le législateur va au delà de ces notions puisqu’il en profite pour réformer… la Médecine du travail !
Le lien est vite trouvé avec la notion de PENIBILITE.
Mais le problème est plus profond.
La Médecine du travail est « malade » depuis de nombreuses années et cela ne va pas aller en s’arrangeant si aucune réforme n’intervient.
- 1. Sur la nécessité d’une réforme :
Un peu d’histoire pour éclairer le présent et se projeter dans l’avenir:
Le 11 octobre 1946, il est fait obligation aux salariés du secteur privé d’organiser un service de santé pour les salariés. La gestion est patronale, sous le contrôle de l’Etat et des organisations syndicales. Il est à noter que contrairement à la majorité des pays européens, le financement est assuré par l’employeur (et non par l’Etat).
Une réforme d’ampleur aurait dû intervenir sous l’impulsion d’une directive européenne du 12 juin 1989 (prônant une approche pluridisciplinaire).
Aucune réforme globale n’est finalement intervenue mais quelques aménagements successifs:
– Décret du 5 novembre 2001 instituant le document unique d’évaluation des risques (obligatoire dans toutes les entreprises quelque soit l’effectif );
– Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, instituant les Services de Santé au Travail avec des équipes pluridisciplinaires autour du Médecin du travail;
– Décret du juillet 2004, prévoyant le principe du tiers-temps (le Médecin du travail doit consacrer le tiers de son temps à « l’action en milieu de travail ») et un passage tous les 2 ans à la visite médicale périodique au lieu de tous les ans.
Ces quelques aménagements n’ont pas permis de résoudre les problèmes, lesquels sont de trois ordres selon le rapport du Conseil économique et social de 2008 sur « l’avenir de la Médecine du travail » (adopté le 27 février 2008) et inspiré du rapport GOSSELIN (Conseiller à la Cour de cassation) :
– d’un point de vue qualitatif: la médecine du travail est restée trop réglementaire au détriment de la prévention en l’absence de refonte globale du système;
– d’un point de vue quantitatif: plus de la moitié des médecins du travail ont plus de 55 ans (3957 praticiens sur 7204) alors que moins de 80 étudiants en médecine optent chaque année pour la médecine du travail, qui souffre chez les étudiants d’une image déclassée (le soin curatif est préféré à la médecine préventive qu’est la médecine du travail).
– d’un point de vue systémique: les questions de l’indépendance, du fonctionnement et de la gouvernance n’ont pas été modifiées.
L’urgence réside principalement dans la nécessité de maîtriser la contrainte démographique, il en va de la survie même du système. Mais au-delà de cette contrainte, les employeurs et l’Etat sont tenus pour responsables du dysfonctionnement des services de santé au travail, au travers les dossiers de l’amiante, des risques psychosociaux…à l’origine de nombreux contentieux judiciaires: la tendance est à la judiciarisation de la santé au travail.
- 2. Sur la « réformette »…au sein de la réforme des retraites :
Le gouvernement avait confié aux partenaires sociaux le soin de négocier sur la « modernisation de la médecine du travail« , par le biais d’un accord national interprofessionnel. Aucun accord n’est toutefois intervenu. Les points d’achoppements étaient nombreux, notamment sur le souhait patronal de réformer la procédure de constatation de l’inaptitude (source d’incertitudes juridiques à l’origine d’un important contentieux en raison des nombreuses zones d’ombres réglées au cas par cas par la Cour de cassation) et sur la baisse des fréquences des visites médicales.
Faute d’accord, le gouvernement a « repris la main », en intégrant des amendements dans le projet de réforme…des retraites!
La philosophie de cette réforme est simple: réduire le poids relatif du médecin du travail au profit de l’émergence d’une collectivité en charge de la santé au travail.
Dans le texte définitif du projet de loi portant réforme des retraites adopté le 27 octobre 2010, cela se traduit concrètement par:
– une modification de l’article L.4622-2 du Code du travail afin de confier non plus au seul Médecin du travail mais à une équipe pluridisciplinaire la santé au travail : médecin du travail, intervenants en prévention des risques professionnels, infirmiers et, le cas échéant, assistants des services de santé au travail.
– la désignation par l’employeur d’un ou plusieurs salariés compétents en matière de protection des salariés et de prévention des risques professionnels dans l’entreprise. En l’absence de compétences en interne, il pourrait faire appel à des intervenants en prévention des risques professionnels attachés au service de santé au travail interentreprises auquel il adhère le cas échéant. On peut s’interroger sur leur statut : mise à disposition, prestation de service… ?
– un accord de branche pourrait prévoir la possibilité de faire suivre certaines catégories de salariés par des médecins non spécialisés en médecine du travail mais ayant signé une convention avec un service de santé au travail interentreprises. Seraient concernés : les artistes et techniciens intermittents du spectacle, les mannequins, les salariés du particulier employeur et les VRP.
– les services de santé au travail se verraient confier comme mission centrale la prévention de la pénibilité.
– les services de santé au travail seraient administrés de manière paritaire: syndicat de salarié (représentatif ?) et représentant des employeurs.
A noter que le Médecin du travail est particulièrement protégé par le Code du travail aux articles R.4623-20 et suivants, puisqu’il ne peut être licencié qu’après l’avis à bulletin secret du Comité d’entreprise puis une autorisation de l’Inspecteur du travail.
Toutefois, le Médecin est le seul de l’équipe pluridisciplinaire à bénéficier d’une telle protection… Il n’est en effet pas prévu de textes équivalents pour les infirmières ou les autres membres de l’équipe!
SYNTHESE:
S’il est urgent de réformer la médecine du travail en raison d’une contrainte démographique pesante, une réflexion globale est nécessaire. Quelques amendements dans la loi portant réforme des retraites ne permettront pas de parvenir à l’amélioration générale du système. En traitant ce problème de manque de Médecins sans s’attaquer aux autres (ou de manière superficielle), cela conduira inévitablement à de nouveaux aménagements dans quelques années.
Il est impératif à mon sens de consacrer une réforme d’ensemble intégrant, comme il en avait été débattu entre les partenaires sociaux, la problématique de l’inaptitude au travail.
Tous les efforts tant de l’employeur, des représentants du personnels (via le CHSCT) que des services de santé au travail doivent tendre vers une baisse des accidents du travail et des maladies professionnelles d’une part mais également à la baisse des déclarations d’inaptitude également par une approche préventive et concertée. Pour ce faire, le médecin conseil de la CPAM, le médecin du travail (avec la CARSAT) et le médecin traitant doivent fournir de manière concertée des pistes préalables à la déclaration d’inaptitude pour assurer tant à l’employeur qu’aux représentant du personnel les informations médicales indispensables au reclassement du salarié.
D’autant que l’allongement des années passées au travail et l’émergence de risques psycho-sociaux vont inévitablement impacter tant le volume que le mode d’intervention des acteurs de la santé au travail.
retraite • santé • visite médicale