par Sébastien Millet
Indemnisation de la fermeture d’une ICPE (l’exemple des chais de stockage d’alcools)
Le Conseil d’Etat vient d’admettre dans un arrêt du 9 mai 2012 l’indemnisation d’un exploitant d’ICPE au titre du préjudice subi du fait d’un décret de fermeture de ses installations de stockage d’alcool de bouche, pris en application des dispositions de l’article L514-7 du Code de l’environnement.
Ces chais, exploités depuis le XVIIIe siècle (1782) dans une zone alors dépourvue de toute habitation, avaient fonctionné au bénéfice des droits acquis du fait de l’antériorité par rapport à leur classement comme ICPE en 1999 (C. Env . L513-1), et avaient fait l’objet de mesures visant à en améliorer la sécurité (étude de dangers, etc).
L’Etat avait toutefois estimé, après expertises et avis du Conseil supérieur des installations classées, que la fermeture administrative était le seul moyen de sauvegarder les intérêts visés à l’article L511-1 du Code de l’environnement et de prévenir les dangers d’explosion et d’incendie résultant des activités de dépotage et de stockage d’alcools compte tenu du développement de l’urbanisation aux alentours.
Cette situation étant fréquente selon l’histoire industrielle des régions, la décision est éclairante à plus d’un titre du point de vue de la méthodologie d’indemnisation et du contentieux en la matière.
Premier point, le fait que la loi (C. Env., L514-7) soit silencieuse et ne prévoit aucun dispositif d’indemnisation « ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer« .
Second point ensuite, l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois et règlements suppose que l’exploitant subisse un préjudice anormal et spécial excédant les aléas que comporte nécessairement ce type d’exploitation, et en lien direct avec la mesure administrative individuelle de fermeture. Autrement dit, il faut pouvoir caractériser le fait que par sa décision de fermeture, l’administration impose à l’exploitant au nom de l’intérêt général une charge qui ne devrait normalement pas lui incomber.
La Cour administrative d’appel avait en l’espèce rejeté les demandes d’indemnisation de l’exploitant, en considérant que puisqu’il avait bénéficié du régime d’antériorité, il devait s’attendre à ce que l’administration soit amenée tôt ou tard à prendre des mesures de sauvegarde, en sorte que la fermeture constituait un aléa normal.
Pour le Conseil d’Etat, il y a là erreur de droit, car l’aléa doit au contraire être analysé au regard des conditions dans lesquelles le risque affectant l’exploitation des chais s’était développé depuis l’origine (c’est-à-dire entre la mise en service de l’installation en 1782 et la date de fermeture, et non simplement à la date à laquelle l’exploitant a bénéficié du régime de l’antériorité).
Il considère ici qu’au regard du développement urbain, le risque de propagation d’un sinistre depuis les habitations voisines ou inversement ne résultait pas des seules caractéristiques propres de l’installation et des conditions dans lesquelles l’installation était exploitée depuis son origine, et que partant de là, le préjudice lié à la fermeture de l’installation excédait les aléas que comporte nécessairement son exploitation.
Si le Conseil d’Etat semble ainsi assouplir quelque peu sa jurisprudence sur l’appréciation de la responsabilité sans faute de l’Etat, la décision reste en demi-teinte pour l’exploitant du point de vue de l’évaluation de son préjudice.
Troisième point en effet, seule la part de préjudice qualifiée de « grave et spécial » et en relation directe avec la décision de fermeture ouvre droit à une indemnisation, ce qu’il appartient au juge administratif de caractériser.
Les postes reconnus comme indemnisables sont ici (outre le remboursement des frais de justice) :
- les frais de fermeture de l’ancien site,
- la majoration du loyer,
- les frais de transport et de remontage des équipements,
- les frais d’étude et de réalisation de la nouvelle installation,
- l’outillage,
- les frais divers liés à l’installation dans les nouveaux locaux (étude de maîtrise d’oeuvre, mission de coordination, aménagements intérieurs, location temporaire de chariots élévateurs, équipements indispensables, frais de signalétique, système de sécurité, travaux d’aménagement des bureaux, transfert des installations informatiques et téléphoniques, acquisition de cuves et travaux de raccordements).
Seule la part de préjudice anormal étant indemnisable, ces frais ne sont pas remboursés l’euro l’euro à l’exploitant, mais seulement ici à hauteur de 30% de leur montant indemnisable, au titre de la rupture d’égalité devant les charges publiques.
Les postes de dépenses sans lien de causalité avec le fait générateur de responsabilité restent quant à eux non indemnisés (p. ex. études relatives à l’ancien site imposées par l’autorité administrative, salaires et charges du personnel habituelles payées dans la phase de déménagement, perte de chiffre d’affaires non imposée par le décret de fermeture, frais d’entretien et de réparation du matériel, frais d’achats de mobiliers supplémentaires, de climatisation et de chauffage, de création d’un espace supplémentaire de stockage et de réparations diverses).
Les exploitants potentiellement concernés ont sans doute intérêt à anticiper de manière prévisionnelle les conséquences financières d’une évolution dans leur situation au regard de la police des ICPE.
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