par Ellipse Avocats
La CCN de la production cinématographique est étendue ! Quelles conséquences pour les employeurs ?
En dépit des controverses, la signature de l’arrêté d’extension par le Ministère du travail (arrêté du 1er juillet) entraîne l’application de la convention collective de la production cinématographique à toutes les entreprises du secteur à compter du 1er octobre 2013. D’ici cette date, un avenant devrait être conclu permettant de modifier certains paramètres du texte « afin de mieux tenir compte de la situation des films économiquement les plus fragiles » (Communiqué du Ministère du travail du 2 juillet 2013).
Dès lors, il convient pour les employeurs concernés de prendre la mesure de l’impact de cet accord sur la gestion du personnel. Si les questions salariales ont été au centre du débat médiatique et politique, il serait faux de limiter les conséquences de ce texte à ces seuls points. Fort de plusieurs dizaines de pages, ce document couvre l’ensemble du droit social en prenant fortement en considération les particularités du secteur.
A ce titre, les définitions de fonctions, l’existence d’un intéressement aux recettes, la prise en compte des conditions exceptionnelles de travail, les « congés spectacles », les « délégués de plateau », sont autant d’éléments justifiant qu’il soit porté un intérêt tout particulier à l’application de cette convention.
1 – Les employeurs concernés :
Sont soumises au champ d’application de cette convention collective (art. 1 – Titre 1) :
– Les entreprises françaises et étrangères de production de films de long métrage, de court-métrage et de films publicitaires dès lors que les salariés embauchés sont soumis au droit français ;
– Les entreprises de production française agissant pour le compte d’une entreprise de production française, et dont l’activité est de mettre à disposition de l’entreprise de production étrangère un certain nombre de salariés contribuant au tournage du film et dont elles sont l’employeur.
Tous les employeurs relevant de ces activités sont donc tenus d’appliquer la nouvelle convention collective à compter du 1er octobre 2013.
En revanche, ne sont pas concernés par le présent texte (art. 3 – Titre 1) :
– Les contrats de travail conclus dans le cadre d’un programme audiovisuel dont l’entreprise est le producteur délégué ou exécutif : dans ce cas, les équipes techniques sont soumises à la convention collective de la production audiovisuelle et les artistes interprètes et acteurs de complément sont quant à eux soumis à la convention collective des artistes interprètes engagés pour des émissions de télévision ;
– Les contrats de travail conclus dans le cadre d’un film d’animation : la convention collective applicable est la convention collective de la production du film d’animation ;
– Les contrats de travail conclus dans le cadre d’une activité de prestation technique indépendante d’un programme produit par l’entreprise ou d’un programme audiovisuel qui n’est pas destiné à une exploitation commerciale et dont l’entreprise ne détient pas les droits d’exploitation : la convention collective applicable est la convention collective de la prestation technique ;
– Les contrats de travail conclus pour une activité de doublage, elle aussi régie par la convention collective de la prestation technique.
2 – Les salariés concernés :
En l’état actuel du texte, seuls les salariés de l’équipe technique contribuant à la réalisation des films et embauchés en CDD sont concernés.
A terme, les salariés artistes interprètes et acteurs de complément contribuant à la réalisation des films (Titre 3), ainsi que les salariés exerçant les fonctions attachées à l’activité permanente des entreprises de production (Titre 4), devraient être concernés par ce texte. A ce jour, celui-ci ne contient aucune disposition les concernant.
3 – Etablissement d’une classification des fonctions entrant dans la qualification « techniciens concourant à la réalisation de films » :
Les partenaires sociaux ont mis en place une classification des fonctions par branche (art. 2 – Titre 2) : métiers de la réalisation, de l’administration, de la régie, de l’image, du son, des costumes, du maquillage, de la coiffure, de la décoration, du montage, etc.
L’établissement d’une classification aussi importante vise principalement deux objectifs :
– Permettre une définition des salaires minimums correspondants à chaque fonction (Annexe 1 – Titre 2) ;
– Une information clarifiée de la Caisse des congés spectacles, de l’UNEDIC, du Pôle Emploi et des caisses de retraite complémentaire, pour qui la multitude des métiers liés à la production cinématographique apparaissait probablement difficile à appréhender (art. 3 – Titre 2).
4 – Dispositions relatives aux relations individuelles de travail :
- Un recours massif au contrat de travail à durée déterminée d’usage :
Si le recours au CDI n’est pas prohibé (ils ne sont cependant pas concernés actuellement par la convention collective), c’est essentiellement un recours au CDD de droit commun (art. 13 – Titre 1) et au CDD d’usage (art. 14 – Titre 1) qui est organisé. L’emploi des salariés de l’équipe technique étant par nature temporaire, il est possible de les recruter sous la forme du CDD d’usage. Bien entendu, celui-ci doit être écrit, comporter la définition de l’objet (référence du film pour lequel le salarié est embauché) et justifier du caractère temporaire de l’engagement.
- Une application du droit commun des congés (art. 16 s. – Titre 1 ; art. 44 – Titre 2) :
Outre un rappel des règles relatives aux congés payés, congés pour événements familiaux et aux jours fériés, la période de référence des « congés spectacles » (articles D.7121-28 s. du code du travail) est fixée du 1er avril au 31 mars de l’année suivante.
Les partenaires sociaux précisent que la journée de solidarité est effectuée le lundi de Pentecôte.
- Les difficultés liées à la législation sur la durée du travail :
Il s’agit probablement là d’un des points les plus difficiles à résoudre pour les partenaires sociaux de la branche. Si les périodes de préparation et de post-production ne posent pas de problématiques particulières, la période de tournage est quant à elle plus délicate à appréhender juridiquement.
A cette fin, le texte précise tout d’abord l’organisation de la durée du travail lors du tournage (art. 26 –Titre 2), l’amplitude de la journée de travail (art. 27 – Titre 2) et les modalités de la « journée continue » (art. 28 – Titre 2). Il prévoit également un régime d’heures d’équivalence dont l’entrée en vigueur est subordonnée à la prise d’un décret par le Ministère du travail (art. 1 de l’arrêté d’extension). A l’heure actuelle, le régime d’équivalence n’est donc pas applicable.
Il prévoit ensuite la possibilité de recourir à des conventions de forfaits en jours sur l’année pour les périodes de préparation et de post-production (art. 31 – Titre 2). Faute de prévoir des garanties suffisantes, il semblerait que cet article ne respecte pas les prescriptions fixées par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 2011 (voir notre article : « Cadre en forfait jours : la révolution n’aura pas lieu »). Le risque de nullité des conventions de forfaits en jours prévues sur ce fondement est donc important. Notons que l’extension de cet article par le Ministère du travail ne préfigure en rien sa validité.
Enfin, sont ensuite détaillées les règles relatives aux temps de déplacement (art. 32 – Titre 2), aux heures anticipées (art. 35 – Titre 2), aux heures supplémentaires (art. 36 à 38 – Titre 2), au travail de nuit (art. 40 – Titre 2) et du dimanche (art. 41 – Titre 2).
- Un aménagement des règles relatives aux salaires :
Outre la mise en place de grille de salaires minimums (Annexe 1 – Titre 2), le texte prévoit que les salaires sont établis et versés sur la base de chaque semaine civile. Le paiement du salaire correspondant à la période hebdomadaire doit être effectué dans les deux premiers jours de la semaine qui suit.
Afin de tenir compte de l’impact de la mise en place de salaires minimums sur des films à « petit budget », les partenaires sociaux ont institué une dérogation à la grille de salaires minimum prévue à l’annexe 1. Il s’agit de « l’intéressement aux recettes d’exploitation ». Ce dispositif consiste tout d’abord en une réduction des salaires minimums devant être versés. Une fois le film sorti, le salaire est ensuite complété par un intéressement sur les recettes nettes dégagées par le film. Bien entendu, le montant de cet intéressement est susceptible d’être supérieur au salaire minimum qui aurait dû être versé en application de l’annexe 1.
Le choix de recourir à ce dispositif est laissé au producteur et soumis à l’accord d’une commission paritaire. Il est réservé aux films présentant un budget prévisionnel inférieur à 2,5 millions d’euros et dont la masse salariale des personnels techniques représente au moins 18% du budget prévisionnel du film.
- L’assurance spéciale des techniciens intervenant sur un tournage dans des conditions exceptionnelles (art. 14 – Titre 2) :
Dans le cas où le tournage du film demanderait à être exécuté dans des conditions exceptionnelles, particulièrement pénibles ou dangereuses, l’employeur est tenu à des obligations médicales renforcées.
De plus, il devra souscrire à une assurance spéciale garantissant un capital décès et invalidité payable à l’assuré ou à ses ayants droits d’un montant minimum de 150.000 euros. Cette assurance doit également couvrir les frais médicaux et d’hospitalisation ainsi que les frais de rapatriement du corps en cas de décès.
- Prévoyance et complémentaire santé : une désignation remise en question
L’article 45 du Titre 2 prévoit que les techniciens intermittents sont couverts par la prévoyance décès, invalidité et frais de santé prévue par l’accord interbranches du 20 décembre 2006 et ses avenants. Ce point ne pose pas de difficultés.
En revanche, un organisme gestionnaire est désigné (Audiens-Prévoyance). Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, il est établit que cette désignation est privée d’effet, l’article du code de la sécurité sociale (L.912-2) relatif aux clauses de désignation ayant été censuré (voir notre article : « Clauses de désignation et de migration : la « bombe » constitutionnelle »). Désormais, les employeurs de la branche restent tenus de leurs obligations en matière de prévoyance et de garanties de frais de santé mais sont libres du choix de l’organisme assureur.
5 – Dispositions relatives aux relations collectives de travail et à la représentation du personnel
A – Au niveau de la branche : l’impossible mesure de la représentativité
Les partenaires sociaux relèvent toute la difficulté à appliquer au niveau de chaque entreprise les critères de représentativité issus de la loi du 20 août 2008 (art. 11 – Titre 1). En effet, assis sur les résultats aux élections des représentants du personnel de chaque entreprise, la mesure de l’audience se révèle impossible. Cet état de fait résulte avant tout de la durée de l’activité développée par les entreprises du secteur qui n’excède pas quelques semaines (ce qui justifie par ailleurs le recours quasi-exclusif aux CDD d’usage) et rend difficile l’organisation d’élections professionnelles.
En écartant la mesure de l’audience électorale issue de la loi du 20 août 2008, au profit du maintien de la représentativité antérieurement établie, le texte s’est attiré les foudres du Ministère du travail qui a refusé d’étendre ce choix conventionnel (art. 1 de l’arrêté d’extension). Il n’en demeure pas moins que la mesure de la représentativité des organisations syndicales dans la branche de la production cinématographique reste en suspens. Le critère issu de la mesure de l’audience électorale présente ici toutes ses limites à prendre en considération ces « professions particulières », au même titre d’ailleurs que pour les sportifs professionnels.
B – Au niveau de l’entreprise : l’instauration des « délégués de plateau »
Les partenaires sociaux instaurent une représentation du personnel spécifique : les délégués de plateau (art.7 – Titre 2). Ceux-ci sont les représentants élus et directs des techniciens auprès du producteur ou de son représentant pour toutes questions relatives à la convention collective de la production cinématographique.
- Conditions cumulatives d’éligibilité :
– Pouvoir justifier avoir collaboré dans la production cinématographique ou la production de films publicitaires sur au moins trois films ;
– Avoir cumulé un total minimum de 20 semaines de travail ;
– Etre engagé pour la durée du tournage du film ou la durée de construction des décors.
- Modalités de l’élection :
Les candidats doivent se présenter au nom d’une des organisations syndicales représentatives dans la branche (cf cependant la remarque supra sur la représentativité des organisations syndicales dans la branche). A défaut de candidat ayant une « étiquette syndicale », tout salarié de l’équipe technique peut être candidat. Enfin, les élections sont organisées en un seul tour dans les trois premiers jours du tournage du film.
- Nombre de délégués de plateau :
– Un titulaire et un suppléant représentant les techniciens de tournage ;
– Le cas échéant, un titulaire et un représentant les salariés de construction de décor, si leur lieu de travail est distinct du tournage.
- Régime juridique du mandat de délégué de plateau :
Cette institution de représentation collective vient en plus des autres institutions représentatives du personnel prévues par le code du travail (délégué du personnel, etc). Le délégué de plateau n’est donc pas un salarié protégé au sens du code du travail. En revanche, il bénéficie de la protection contre les discriminations syndicales prévue à l’article L.1132-1 du code du travail.
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