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Droit du Travail
par Sébastien Millet

Un nouveau cadre d’enquêtes administratives concernant le personnel dans les entreprises de transport


Dans le contexte d’état d’urgence et de lutte globale contre le terrorisme, une nouvelle loi publiée en mars 2016 prévoit une panoplie de mesures à caractère permanent ou expérimental, venant notamment renforcer les pouvoirs de police et de contrôle.

 

La loi n° 2016-339 publiée au JORF du 23 mars 2016) est « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes de terrorisme dans les transports collectifs de voyageurs« . Signe d’un consensus assez large sur le sujet, le texte n’a pas été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel.

Parmi ces mesures, l’article 5 de la loi (codifié au nouvel article L114-2 du Code de la Sécurité intérieure) retient l’attention.

Pour les entreprises de transport public de personnes ainsi que celles de transport de marchandises dangereuses (TMD) soumises à l’obligation d’adopter un plan de sûreté, la loi fixe un cadre juridique permettant la réalisation d’enquêtes administratives concernant le personnel, qui pourront intervenir à l’embauche et/ou ponctuellement :

  • En amont, les décisions de recrutement et d’affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens (selon une liste de ces emplois à définir par décret en Conseil d’Etat) peuvent être précédées d’enquêtes administratives, destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées.Il s’agit d’une extension du dispositif existant (CSI, L114-1) prévoyant que « Les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant soit les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’Etat, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, soit les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses, soit l’accès à des zones protégées en raison de l’activité qui s’y exerce, soit l’utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux, peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. »

    Dans le cadre ici du dispositif propre aux activités de transport, il est toutefois prévu que le candidat qui postule en externe ou en interne pour ce type de fonction doit être informé qu’il est susceptible dans ce cadre de faire l’objet d’une enquête administrative (ce qui rappelle l’article L122-4 du Code du travail selon lequel « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance »).

 

  • Ensuite, tout au long de l’exécution du contrat, si le comportement du titulaire du poste laisse apparaître des « doutes sur la compatibilité avec l’exercice des missions » pour lesquelles il/elle a été recruté ou affecté, une enquête administrative pourra également intervenir à l’initiative de l’autorité administrative, mais également de son employeur (faculté laissée à l’appréciation de l’employeur en fonction des risques de l’exploitation et du contexte).

 

Il s’agit là véritablement d’un régime dérogatoire du droit commun à plusieurs titres puisque la loi admet, au nom de l’impératif de sûreté, qu’une enquête puisse être demandée par l’employeur sur la base de simples doutes (qui dans le silence de la loi semblent pouvoir reposer aussi bien sur des faits liés à l’activité professionnelle de l’agent que sur des faits tirés de sa vie privée), et à l’insu de la personne intéressée.

Le déclenchement d’une enquête par l’employeur ne sera donc pas une mesure illicite vis-à-vis du salarié, sous réserve de respecter certaines modalités qui doivent encore être fixées par un décret en Conseil d’Etat pour rendre le dispositif applicable.

Sans doute sera-t-il nécessaire de tenir compte de la règle générale selon laquelle le comité d’entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés (C. Trav., L2323-47).

Dès lors qu’il s’agit de mesures exceptionnelles, la politique de l’entreprise mérite d’être définie et mise en œuvre dans des conditions permettant de garantir la sûreté tout en évitant d’éventuelles dérives, par exemple en matière de discrimination ou de violation de la loi Informatique et libertés.

En tout état de cause, la possibilité pour les employeurs concernés de faire du « renseignement » interne est relative dans la mesure où la conduite de l’enquête restera du ressort de l’autorité administrative. Celle-ci se voit habilitée à consulter dans ce cadre le bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi « informatique et libertés » n° 78-17 du 6 janvier 1978 (à l’exception des fichiers d’identification).

Reste la question de l’exploitation par l’entreprise des résultats de l’enquête administrative, point sur lequel la loi est muette, se contentant de prévoir que ces résultats doivent être communiqués sans délai à l’employeur par l’autorité administrative.

L’enquête doit préciser si le comportement de la personne concernée donne, non pas une certitude, mais des « raisons sérieuses de penser » qu’elle est susceptible de commettre à l’occasion de ses fonctions un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics.

L’employeur devra apprécier sous sa propre responsabilité de la nature des suites à donner en cas de rapport de confirmation … Nul doute que dans la plupart des cas, l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’entreprise (tant vis-à-vis des clients que des salariés) primera sur le maintien du contrat de travail ou de l’affectation. Même si l’enjeu prud’homal semble finalement très secondaire en termes de pesée des risques, il n’en reste pas moins que des mesures préventives prises « par précaution » seront toujours contestables au plan judiciaire dès lors qu’elles ne sont pas fondées sur des faits ou agissements (au moins préparatoires) précis, en vertu de la règle selon laquelle « le doute profite au salarié ».

Sous ces réserves, ce dispositif devrait permettre aux entreprises concernées d’avoir un champ d’action plus efficace en matière de sûreté, ce qui constitue une avancée collective bienvenue.

 

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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