par Jean-Michel Bernad
Les nouveaux acteurs de la négociation sociale vus par les ordonnances
Dans cette chronique, Jean-Marie Thuillier, directeur R&D, Marketing et Communication BPI group et Jean-Michel Bernad, avocat associé au sein d’Ellipse Avocats, analysent le rôle des nouveaux acteurs de la négociation sociale, salariés et membres du comité social et économique. Sont-ils prêts ?
A la lecture, du « dossier de presse » du ministère du travail sur les ordonnances Travail, le 31 août 2017, force est de constater qu’il s’agit là d’une campagne de communication de grande qualité, nourrie de messages très clairs. Arrêtons-nous sur la « priorité donnée aux TPE et PME » et sur la promesse d’une « négociation simple et accessible pour les entreprises de moins 50 salariés ».
Première réaction : la négociation sociale aurait donc, l’espace d’un été, modifié simplement ses points d’ancrage laborieusement construits depuis la loi Waleck Rousseau (1884) légalisant les syndicats professionnels salariés et patronaux.
Seconde réaction qui sonne comme une évidence : la négociation d’entreprise se doit de prendre une place majeure. branches et entreprises doivent se saisir de cette opportunité, faire preuve de dynamisme, proposer à leurs partenaires syndicaux des deals nouveaux et surtout une approche renouvelée de la négociation sociale.
Ce que nous disent les ordonnances : les TPE et PME peuvent négocier hors présence syndicale avec quelques précautions à la marge.
Un nouveau panorama pour les TPE PME
Pour les entreprises dont l’effectif se situe sous la barre des 20 salariés et dépourvues de toute représentation du personnel, l’entreprise pourra soumettre aux salariés un accord pouvant couvrir l’intégralité des champs de négociation (hors sanctuaire de la branche). Le référendum qui en découlera devra obtenir l’assentiment express des 2/3 des salariés.
Dans les entreprises ayant entre 11 et 49 salariés, dépourvues de délégués syndicaux, les accords d’entreprise ou d’établissement pourront être négociés, conclus et révisés selon deux modalités au choix : soit par un ou plusieurs salariés mandatés, soit par un ou des membres de la délégation du personnel du comité social économique (CSE). De tels accords pourront porter sur toute mesure pouvant être négociée par accord d’entreprise ou d’établissement en vertu du code du travail. Un accord négocié avec des membres du CSE, mandatés ou non, devra, pour être valide, être signé par des membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles. Un accord négocié avec des salariés mandatés non membres du CSE devra, pour être valide, être approuvé par référendum à la majorité des suffrages exprimés.
Les branches professionnelles se voient alors bien confortées dans leur mission de régulation sociale et économique, et leur pré carré est étendu. La négociation d’entreprise est valorisée et sa primauté bien réaffirmée. Le principe majoritaire pour les accords d’entreprise en est même avancé au 1er mai 2018, pour renforcer la légitimité des signataires. Il n’empêche…
La force pourrait s’avérer être du côté du nouvel entrant, le patron de PME en prise directe avec ses salariés dans la construction de la nouvelle norme sociale. Clairement, le dirigeant pourra négocier un accord d’entreprise directement avec ses salariés (pour les PME de moins de 20 salariés) ou avec des élus du personnel même s’ils ne sont pas mandatés (jusqu’à 50 salariés). Rappelons que sur les 3,5 millions d’entreprises en France, 99% comptent moins de 50 salariés et 95% moins de 10 salariés (dont 65% aucun) qui n’ont pas de représentation du personnel, sans parler de la représentation syndicale.
De nouvelles responsabilités pour les salariés : sont-ils prêts ?
Il n’échappera à personne que l’un des avantages de la démocratie directe réside dans sa capacité à trancher rapidement des questions complexes, telle que : « êtes-vous pour ou contre la suppression de la prime conventionnelle d’ancienneté et son remplacement par un intéressement aux résultats ? »
Soumise par référendum aux 9 salariés de l’entreprise, on imagine que le résultat puisse être favorable, voire unanime, si aucun d’entre eux ne perçoit ladite prime !
Ce questionnement pourra également, dans un contexte différent, mais toujours en l’absence de syndicat, être porté par des délégués élus du CSE ayant obtenu la majorité des suffrages de leurs collègues de travail.
On est en effet dans ce cas encore loin de la négociation « d’appareil » et le contact direct entre les acteurs prime sur la notion de représentation.
Évitons la langue de bois, le mandatement qui est fixé depuis 2008 dans le code du travail, et qui permet à une organisation syndicale d’être partie prenante à la négociation dans une entreprise où elle n’est pas implantée, ne s’est pas développé. Les patrons de TPE n’ont que rarement accepté l’entrée d’un syndicat dans leur entreprise…
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pourrait considérer que ce dispositif n’aura probablement pas plus de succès demain qu’hier. Les salariés sont-ils plus confiants aujourd’hui pour accepter d’être en situation de responsabilité et de s’engager dans une vraie révolution culturelle ? Seront-ils suffisamment armés pour négocier ? Sauront-ils apprécier les équilibres proposés et/ou doser le rythme des négociations ? Rien ne se décrète. Tout s’accompagne. Reste la négociation sociale de branche et d’entreprise dont on peut espérer qu’elle s’empare des nouveaux champs de négociations et qu’elle fasse preuve de sa vitalité, et de son inventivité pour être leur référence.
La négociation de branche plus utile que jamais !
Faisons d’une contrainte une opportunité : dans ce nouveau scénario, les branches professionnelles ont un rôle essentiel à jouer et doivent prendre une nouvelle posture, favorables au développement de leur marché et à la démonstration de leur utilité publique (loi travail 2016).
Couvrant plus de 95% du champ économique, il leur faut rapidement proposer aux PME et TPE, adhérents et futurs adhérents, un panel de service à la hauteur des enjeux actuels sans oublier un soupçon de pédagogie.
La loi Travail a institué les accords modulables à disposition sur étagère, les Ordonnances les complètent avec des arrêtés d’extension accordés aux seuls accords de branche intégrant les attentes des TPE et PME.
Le marché est à portée de main…la demande est identifiée…tout ceci deviendra sous peu une question de « capacité à répondre à la demande »: proposer des services digitaux labellisés branche (avec service après-vente) à des clients pressés d’écrire de nouvelles pages du droit du travail ; apporter des outils, une ingénierie d’accompagnement aux entreprises ainsi que des financements permettront aux branches de renforcer leur attractivité.
Au-delà du marché des TPE et PME, la question de la gestion des emplois et des compétences relève également de ce challenge.
La négociation de branche sur les thèmes emplois, sous-traitance et mobilités devient stratégiques dans un contexte où une certaine reprise économique conduit les grands groupes à débaucher chez leurs concurrents sans retenue et les entreprises digitales à créer de nouveaux emplois et de nouveaux profils.
Dans ce contexte, il nous semble essentiel que les branches se saisissent du sujet de la formation des acteurs de la négociation sociale, car tout ceci ne sera possible que si le « dialogue social d’appareil » est porté par des acteurs formés.
Vers une optimisation des coûts sociaux et le développement d’un dialogue social créateur de valeur
Dès ce lundi 25 septembre, de nombreuses directions générales ont dû interpeller leur DRH sur les dates de publication des décrets d’application et sur la possibilité, par exemple, de mettre déjà en place un comité social et économique afin de pouvoir inscrire au budget 2018, les économies liées.
En pratique, le scénario pourrait s’avérer plus productif que cette approche budgétaire immédiate.
L’ouverture de nouveaux champs de négociation dans l’entreprise, en particulier celui de l’adaptation aux réalités de l’entreprise des dispositions conventionnelles de branche, à l’exception des salaires minima, peut redonner « le carburant » dont les négociations salariales sont privées depuis 2008.
Par exemple, un travail de fond avec les syndicats peut être mené sur les questions de mobilité professionnelle, d’évolution des emplois, de qualité de vie au travail et de politique de rémunération
conçue comme un levier pour l’action.
Avec la possibilité que le contenu d’un accord d’entreprise vienne se substituer de plein droit aux clauses contraires du contrat de travail, faisons le pari que les salariés deviennent plus attentifs aux décisions à prendre et à leurs incidences, et d’interagir certainement mieux qu’auparavant avec les syndicats et autres mandatés.
La formation et l’accompagnement des acteurs (tant du côté direction que côté salariés) sur la compréhension des leviers à disposition au regard de la situation économique de l’entreprise, et le temps imparti pour un dialogue social de qualité, sont autant de facteurs clés à respecter pour faire face à l’ampleur du projet de transformation sociale.
Un nécessaire équilibre est à trouver entre les parties amenées à négocier au sein de toutes les entreprises. Un appui des branches auprès des entreprises est une opportunité pour profiter de
l’expérience syndicale.
Encore faut-il dans cette démarche, s’inscrire dans une approche marquée par la transparence, la loyauté et la capacité à porter ensemble, chaque acteur à sa place, les engagements pris.
La révision de l’assurance chômage et de la formation professionnelle n’en est que plus attendue pour assurer la confiance nécessaire à la réussite de la transformation culturelle voulue par les ordonnances, et apporter des éléments de sécurisation utiles. Le plan d’investissement des compétences annoncé ce lundi 25 septembre est une première marche.
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