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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

L’obligation de sécurité, une obligation de prévention des risques professionnels


Mieux vaut prévenir que guérir ! L’adage résonne de manière particulière en ce début d’année 2018, dans un contexte où les pouvoirs publics impulsent un changement d’approche des risques professionnels, sous l’angle de la promotion d’une culture de prévention dans les entreprises.

Le 3e Plan Santé au Travail 2016-2020 est très significatif à cet égard.

Celui-ci est désormais complété par la nouvelle Stratégie Nationale de Santé pour la période 2018-2022, plus large, issue du Décret n° 2017-1866 du 29 décembre 2017, et qui vise notamment à mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la prévention, dans tous les milieux, notamment professionnels, afin de réduire la fréquence et la sévérité des pathologies liées aux conditions de travail, qui constituent un déterminant de santé.

Dans cet environnement, la part belle est faite à la qualité de vie au travail (QVT), au point qu’une mission ministérielle vient d’être lancée pour réfléchir à promouvoir celle-ci, dans une optique de meilleure prévention des risques professionnels. On suivra avec attention ses recommandations -attendues pour avril 2018-, et qui devraient porter notamment sur des propositions en vue d’organiser une meilleure coordination des acteurs et de mesurer la performance du système de prévention.

Cette dynamique positive constitue donc une tendance de fond, vers une efficacité à la source.

Côté contentieux, le message va dans le même sens, même s’il intervient sous le prisme de la responsabilité juridique, avec en toile de fond, l’objectif d’assurer une mise en œuvre effective des règles et principes de prévention.

L’année 2015 a marqué un tournant important dans la jurisprudence sociale, avec le fameux arrêt Air France et son attendu de principe : « Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail » (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444).

Dans un arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation déclinait ce principe dans le domaine du harcèlement moral, où elle précisait : « Attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ; (…) Qu’en statuant ainsi, sans qu’il résulte de ses constatations que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail et, notamment, avait mis en oeuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (cf. Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19702 – précédente chronique).

Plus tard dans un arrêt du 1er février 2017, elle venait ajouter que « (…) qu’il résulte des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail que les actions que l’employeur doit mettre en oeuvre pour protéger la santé physique et mentale des salariés concernent la prévention des risques professionnels et l’évaluation de ceux qui ne peuvent être évités » (Cass. Soc. 1er février 2017, n° 15-24166).

Depuis, les spécialistes s’interrogent sur la portée de cette évolution (qui concerne pour l’heure la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation relative  au contentieux du travail en matière de RPS et de santé mentale), et scrutent le moindre indice qui viendrait clarifier la thèse du passage à une « obligation de résultat atténuée » selon les uns, ou à une « obligation de moyens renforcés » pour les autres.

Observons que le fait d’employer le terme d’obligation de moyens présente l’inconvénient de laisser entendre aux acteurs qu’il ne serait question que de moyens techniques ou matériels à mettre en œuvre, ce qui ne reflète en fait pas la nature profonde de l’obligation.

Toujours est-il que les habitudes sont tenaces, et que l’obligation de sécurité de résultat reste une référence conceptuelle et de vocabulaire pour l’immense majorité des praticiens et des juridictions du fond, qui n’ont pas encore franchi ce pas.

Force est de constater également que la 2e Chambre civile de la Cour de cassation, chargée du contentieux de la Sécurité sociale (faute inexcusable notamment), s’en tient elle aussi à l’obligation de sécurité de résultat classique.

Pour l’heure, la jurisprudence du travail évolue donc pas à pas et sans rupture comparativement aux remous suscités par les arrêts « amiante » et leurs innombrables déclinaisons.

Il faut dire que le contexte a évolué ; les condamnations systématiques d’entreprise, que ce soit au civil ou au pénal ont largement montré leurs limites, venant souvent à contre-emploi par rapport à l’objectif de prévention.

Pour autant, s’il a pu être néfaste de démobiliser les acteurs par une pratique judiciaire trop radicale, il ne faut pas non plus aller dans l’excès inverse, qui donnerait l’impression que désormais, l’employeur ne serait soumis qu’à des obligations diminuées. Il est vrai que la volonté d’alléger les contraintes pesant sur les entreprises et à restaurer un climat de confiance propice aux acteurs de l’économie pourrait favoriser un certain « relâchement » (attention aux méprises toutefois : par exemple, le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, qui vise à instituer un « droit à l’erreur » de l’employeur vis-à-vis de l’administration, prévoit que celui-ci ne serait pas invocable en cas de sanction administrative  pour méconnaissance des règles préservant la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement – CRPA, art. 123-1 en discussion).

En fait, l’essentiel dans cette évolution est de considérer que c’est l’objet de l’obligation qui change : elle ne met plus le focus sur l’absence de dommage, mais sur la réalité et la consistance de l’action préventive menée par l’employeur.

En cela, on peut certainement toujours parler d’obligation de résultat, mais sera appréciée au travers des diligences mises en œuvre par l’employeur.

L’année 2017 s’est clôturée avec une nouvelle avancée, dont l’avenir dira si elle est simplement sémantique ou si elle manifeste au contraire une véritable évolution conceptuelle au sujet de l’obligation de sécurité.

Dans une affaire récente relative à une organisation qualifiée de pathogène (mode de management « par la peur »), la Cour de cassation a ainsi jugé « que l’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l’article L4121-1 du Code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ; Attendu, ensuite, que sans méconnaître l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, la cour d’appel, qui a relevé qu’il ressortait notamment de divers procès-verbaux d’audition et d’un rapport de l’inspection du travail que de très nombreux salariés de l’entreprise avaient été confrontés à des situations de souffrance au travail et à une grave dégradation de leurs conditions de travail induites par un mode de management par la peur ayant entraîné une vague de démissions notamment de la part des salariés les plus anciens, a caractérisé un manquement de l’employeur à son obligation de prévention des risques professionnels à l’égard de l’ensemble des salariés de l’entreprise » (Cass. Soc. 6 décembre 2017, n° 16-10885 à 16-10891).

Entre les lignes, on constate l’abandon ici de la référence à l’obligation de sécurité, au profit d’une « obligation de prévention ».

Cela est suffisamment inhabituel dans ce domaine pour être relevé.

Faut-il y voir une volonté d’occulter la notion d’obligation de sécurité, pour ne plus avoir justement à se positionner sur sa nature en tant qu’obligation de résultat ?

Au final, cela ne change certainement pas grand-chose puisque dans cette affaire, l’employeur se voit condamné pour ne pas avoir pu ou su empêcher la survenance d’une situation de souffrance collective au travail, sans pouvoir invoquer le fait que le manager incriminé avait été relaxé au pénal des poursuites pour harcèlement moral dont il faisait l’objet.

Toujours est-il que cette obligation de prévention est parfaitement cohérente au regard du message véhiculé depuis la jurisprudence Air France.

Elle y revient d’ailleurs à nouveau dans une affaire ultérieure relative à des faits de harcèlement sexuel, en confirmant la condamnation d’un employeur en dépit de sa réaction dès la connaissance des faits : « Mais attendu, [que] la cour d’appel, qui a fait ressortir que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail et, notamment, n’avait pas mis en oeuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement sexuel, et qui a relevé qu’il n’avait pas pris toutes les mesures propres à mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel dénoncés par la salariée, a pu en déduire que l’employeur avait manqué à son obligation légale résultant de l’article L1153-5 du code du travail » (Cass. Soc. 13 décembre 2017, n° 16-14999).

Derrière ce débat juridique, deux axes essentiels guidant l’action méritent d’être retenus : PREVENTION et EFFECTIVITE.

Les principes de généraux de prévention (cf. C. Trav., L4121-1 et 2) et les prescriptions réglementaires spécifiques à chaque risque particulier constituent une grille de lecture incontournable.

Dans cette approche, la conformité réglementaire est essentielle, mais non suffisante.

Les principes généraux irriguent tout processus décisionnel et opérationnel, avec une portée qui impose d’aller plus loin, pour améliorer concrètement les conditions de travail.

S’y adosse une approche méthodologique, sur laquelle doit s’appuyer la politique de prévention des risques professionnels.

Sur ces bases, l’employeur doit être en mesure de justifier de la bonne adéquation de ses mesures en vue de supprimer ou de limiter le risque à la source, prioritairement.

A cet égard, l’implication des acteurs est capitale, à commencer par celle des partenaires sociaux (ce qui pose une question de fond sur la mise en place du futur CSE, instance unique élue, et de la définition de sa configuration et de ses modalités de fonctionnement dans le domaine de la prévention des risques et de l’amélioration des conditions de travail).

Ce caractère suffisant et approprié reste soumis au pouvoir d’appréciation des juridictions au cas par cas, et on ne saurait que trop insister sur la nécessité de veiller sur la bonne tenue des process documentaires au sein de l’entreprise, à commencer par les outils d’évaluation des risques.

Ce qui change véritablement en pratique est le fait que désormais, l’entreprise pourra espérer s’exonérer de sa responsabilité, en contrepartie de la démonstration qu’il a bien fait tous les efforts de prévention nécessaires.

Dans ce registre, la prévention est ainsi payante, outre bien entendu les économies réalisés et les gains de performance obtenus.

Cette nouvelle approche vertueuse a résolument du sens, en ce qu’elle assure un meilleur équilibre entre obligations et responsabilité, sans renier les principes fondamentaux ni l’objectif de protection efficace de la santé physique et mentale des personnes.

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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