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Droit de la Santé, sécurité au travail
par Sébastien Millet

Prévenir les risques émergents liés au changement climatique ?


La lutte contre le changement climatique est essentiellement axée autour de politiques qui visent à limiter les causes anthropiques de son réchauffement global.

Toutefois, force est de constater que la lutte contre le changement climatique va de plus en plus imposer également de nouvelles approches, basées sur la prévention de ses conséquences dommageables et la résilience aux aléas naturels et technologiques associés.

Au-delà des nombreuses études scientifiques disponibles, chacun peut dorénavant faire l’expérience concrète d’un dérèglement à l’œuvre sur le long terme, avec des conséquences locales négatives de plus en plus récurrentes et perceptibles, tant pour la biodiversité que pour les activités économiques.

Pour les entreprises, l’exposition aux risques naturels constitue une préoccupation grandissante, face à la multiplication en fréquence et l’amplification en intensité des phénomènes climatiques (vagues de fortes chaleurs, précipitation, tempête, inondations, etc.).

Dans ce cadre, les responsables d’entreprise ne peuvent se désintéresser de la question, que ce soit s’agissant de l’organisation d’une continuité d’activité ou de la protection de leur personnel.

Un enjeu d’adaptation des organisations et comportements

Les médias se font très régulièrement l’écho de catastrophes naturelles (inondations, incendies, tempêtes, submersions marines, etc.) générant des sinistres dans les entreprises. Combien déplore-t-on dans ces cas d’accidents, pertes de production, travaux, mise en chômage partiel, etc. ?

Il est frappant de constater que les entreprises se retrouvent souvent démunies et prises de court face à l’ampleur de la situation, souvent qualifiée d’« imprévue ».

Cela rappelle que l’impréparation aux évènements est aussi source d’aggravation des risques.

En tout état de cause, l’incertitude liée au caractère aléatoire de ces évènements ne doit pas être un frein à l’action et paraît nécessiter certaines transformations et adaptations.

Intégrer les risques climatiques dans la grille d’évaluation des risques professionnels

La démarche d’évaluation des risques professionnels paraît ici essentielle face à ce qui, pour de nombreuses entreprises, constitue un champ nouveau dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail.

  • Quels sont les risques, facteurs de risque particuliers et dangers associés pour la sécurité des travailleurs ainsi que pour la santé physique et mentale ?
  • Quels sont les nouveaux scénarios d’exposition à prendre en compte en lien avec le changement climatique ?
  • Quels risques traditionnels sont susceptibles d’être aggravés du fait de ces facteurs ?
  • Quelles mesures de prévention pertinentes doivent être prises ?

… Autant de points qui peuvent conduire à une mise à jour du document unique d’évaluation des risques.

On se reportera ici avec intérêt à une récente étude publiée par l’ANSES (janvier 2018) sur l’évaluation des risques induits par le changement climatique sur la santé des travailleurs, qui propose une grille d’analyse croisant les types de risques professionnels concernés avec les variables et indices modifiés par le changement climatique, les processus et mécanismes de l’impact sanitaire, les circonstances d’exposition nécessaires, les exemples de circonstances d’expositions secondaires ou aggravantes.

Bien sûr, toutes les entreprises ne sont pas concernées de la même manière, et une exploitation agricole située en zone rurale aura par exemple une sensibilité beaucoup plus élevée qu’une entreprise de services située en agglomération urbaine.

Pour autant, le spectre des risques potentiellement impactés s’avère très large, et ne se limite pas à certaines secteurs d’activité : risques liés aux ambiances thermiques chaudes ; à la charge physique ; risques psychosociaux ; risque routier ; risques liés aux équipements de travail ; risque électrique ; risque incendie/ explosion ; risques rayonnements UV ; risques liés aux agents biologiques ; etc. …

Quelles obligations pour l’employeur ?

D’une manière générale, s’il n’existe pas de cadre légal ou réglementaire spécifique, le risque climatique n’échappe pas à l’obligation générale de sécurité-prévention de l’employeur.

Les principes généraux de prévention de l’article L4121-2 du Code du travail constituent un référentiel fondamental pour bâtir la démarche. Rappelons qu’il y est notamment question d’adapter le travail à l’homme ; de tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; de planifier la prévention en y intégrant notamment l’influence des facteurs ambiants ; ou encore de donner des instructions appropriées aux travailleurs.

Typiquement au regard de ces critères, la responsabilité juridique de l’employeur peut être engagée en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Récemment, la jurisprudence a statué dans une affaire pour laquelle la responsabilité d’un employeur était mise en cause pour faute inexcusable, suite à une grave chute d’une salariée alors qu’il lui était reproché de ne pas avoir pris de mesures en dépit d’un bulletin de vigilance météorologique faisant état d’une « alerte orange » liée à un épisode de pluies verglaçantes.

La faute inexcusable de l’employeur a toutefois été écartée, la Cour de cassation approuvant les juges du fond d’avoir considéré que l’existence de cette alerte météorologique ne pouvait en elle-même suffire à démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel étaient exposés ses salariés, alors que l’alerte avait été diffusée dans la nuit, qu’elle ne commandait pas de vigilance absolue mais uniquement des consignes de prudence s’imposant à chacun en cas de déplacement (Cass. Civ. II 25 janvier 2018, n° 16-26384).

Pour autant, cela illustre les scénarios de responsabilité potentielle pour l’entreprise en cas de réactivité insuffisante.

Dans ce domaine, il sera toujours tentant d’invoquer la force majeure (cf. C. Civ. art. 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. (…) »), ou la « cause étrangère ». Encore faut-il que la cause soit totalement étrangère à l’employeur pour être exonératoire, ce qui prête toujours à discussion à partir du moment où l’on considère qu’au regard de la nature de ses activités, celui-ci devait ou aurait dû se tenir informé des risques liés aux aléas climatiques auxquels sont susceptibles d’être exposés les salariés qu’il emploie, et aurait dû leur donner des instructions adaptées.

Une obligation de veille et de vigilance est donc de mise, comme c’est déjà le cas chaque année en période hivernale ou estivale, concernant la mise en œuvre des plans canicule ou grand froid (cf. instructions interministérielles n° 2017/284 du 3 novembre 2017 et n° 2018/110 du 22 mai 2018).

Au-delà des salariés travaillant en extérieur, le risque routier doit être particulièrement pris en compte, son caractère accidentogène étant démultiplié en cas d’intempéries.

Rappelons accessoirement que face à ces scénarios, chaque travailleur :

  • Est tenu à une obligation de vigilance et de prudence dans les conditions définies à l’article L4122-1 du Code du travail) ;
  • Bénéficie d’un droit de retrait en cas de situation pour laquelle il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (C. Trav., L4131-1).

Quelles mesures mettre en œuvre ?

Au regard des données météorologiques disponibles (que l’employeur a fort intérêt à documenter), des mesures adaptées doivent être prises, prioritairement sur le plan organisationnel, une large panoplie de mesures étant envisageable, telles que par exemple :

  • Mise en place d’un réseau d’alerte interne ;
  • Information et sensibilisation des salariés, à partir notamment des kits mis à disposition du public par l’Etat ;
  • Diffusion de consignes écrites sur la conduite à tenir et les bonnes pratiques de sécurité (précisons notamment qu’il revient au le règlement intérieur de définir « les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises » C. Trav., L1321-1, 2°) ;
  • Recours au télétravail (selon l’article L1122–11 du Code du travail, « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ») ;
  • Organisation et planification des secours et des mesures d’assistance (la question des salariés envoyés en mission à l’étranger mérite une attention particulière) ;
  • Etc.

La mobilisation d’outils technologiques et numériques peut certainement contribuer à optimiser la prévention dans ce domaine (cf. drones, géolocalisation, etc.).

Pour aller plus loin …

Pris sous le prisme de la santé et de la sécurité au travail, ce sujet peut être l’occasion de mobiliser utilement le nouveau Comité Social Economique (ex-CHSCT), sachant qu’il n’a sinon que des attributions limitées dans le domaine environnemental (cf. ICPE soumises à autorisation au titre du Code de l’environnement ou du Code minier, et installations nucléaires de base – C. Trav., R2312-24 s.).

Cela peut être l’occasion d’associer plus généralement le CSE et les partenaires sociaux à la mise en place d’un plan de continuation d’activité, voire, dans le cadre de la politique RSE/ développement durable de l’entreprise, à la mise en place d’une stratégie en matière de biodiversité au travers de laquelle les salariés peuvent être sensibilisés sur les enjeux, et incités à agir positivement en matière environnementale (gestion des déchets ; consommations d’énergie ; utilisation des ressources ; préservation de la biodiversité ; etc. – cf. le guide du Comité français de l’UICN juillet 2018 « Sensibiliser et mobiliser les salariés d’entreprises en faveur de la biodiversité »).

Autant d’actions volontaristes et impliquantes qui participent aussi de la qualité de vie au travail, au-delà de la stricte prévention des risques.

 

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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