Le 22 janvier 2025, la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt sur la (délicate) articulation entre le droit à la preuve et le respect de la vie privée d’un salarié, et admet qu’un employeur utilise les données issues d’un logiciel de gestion des appels pour prouver la faute d’une salariée.
La délicate articulation entre droit à la preuve et respect de la vie privée
La question de la preuve et de sa validité est toujours centrale dans les contentieux prud’homaux. A ce titre, si le principe est que la preuve est libre, la Cour de cassation a longtemps exigé que cette preuve soit obtenue de manière licite et loyale. L’exigence de loyauté interdisait ainsi, en principe, d’opposer à une partie une preuve obtenue à son insu, peu important par ailleurs qu’il s’agissait de prouver un fait juridique ou un acte juridique.
Si la Cour de cassation a pu atténuer ce principe ces dernières années, cette règle reste pourtant en vigueur.
Dans cette affaire, un employeur avait voulu utiliser les données d’un logiciel de gestion des appels pour prouver que des télé-secrétaires ralentissaient volontairement leur cadence de travail, ne répondaient pas aux appels entrants et perturbaient ainsi le fonctionnement de l’entreprise.
Or, les salariées n’avaient pas été informées préalablement de l’exploitation possible de ces données à des fins de contrôle. La Cour de cassation en conclut donc que ce logiciel de gestion des appels ne pouvait normalement pas être utilisé pour surveiller les salariés en l’absence d’information préalable.
Toutefois, faisant application de sa jurisprudence récente sur la preuve illicite, la Cour de cassation admet que les données personnelles de ce logiciel puissent toutefois être admises comme modes de preuve de la faute grave de plusieurs salariées.
L’exploitation des données du logiciel de gestion des appels : une atteinte proportionnée…
Si traditionnellement, la jurisprudence écartait systématiquement des débats tout élément de preuve obtenu à l’insu des parties ou par un stratagème, une évolution récente admet, dans des cas exceptionnels, que le droit à la preuve puisse justifier une atteinte à d’autres droits fondamentaux, sous réserve de respecter des conditions strictes et cumulatives. (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19523 – Cass. soc., 10 nov. 2021, n° 20-12263
Pour qu’une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite puisse être admise, il est impératif que trois conditions suivantes soient simultanément remplies : (Cass. soc.,17 janvier 2024, n°22-17.474 ; Cass. soc., 2 mai 2024, n°22-16.603)
- Indispensabilité de la preuve : La preuve doit être essentielle pour démontrer les prétentions de celui qui la produit.
- Proportionnalité de l’atteinte : L’atteinte portée aux droits fondamentaux doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
- Absence de moyen alternatif : Il doit être démontré qu’il n’existait aucun autre moyen licite et équitable d’établir les faits en cause.
Appliquant ces règles au profit – pour une fois – d’un employeur, dans cet arrêt, la Cour de cassation a validé la recevabilité des preuves, et l’utilisation des données y figurant, puisque :
- Les données utilisées concernaient exclusivement l’activité professionnelle des salariées (appels entrants/sortants, temps d’attente, etc.).
- Un huissier avait été mandaté pour garantir l’objectivité des relevés.
- L’employeur avait un motif légitime : prouver que les salariées ralentissaient délibérément leur travail, ce qui nuisait au bon fonctionnement de l’entreprise.
La preuve était donc recevable. Pour la Cour que, bien que cette production porte atteinte à la vie privée, elle était nécessaire et proportionnée au regard des fautes reprochées.
En validant la recevabilité de ces preuves, la Cour de cassation considère qu’un peut utiliser des moyens technologiques pour établir une faute, à condition que leur usage respecte le principe de proportionnalité.
…justifiant un licenciement pour faute grave
Les pièces produites ont, par ailleurs, permis de justifier le licenciement des salariés, dès lors qu’elles démontraient, de manière précise et détaillée, les manquements reprochés. Les pièces produites montraient ainsi que les salariés avaient volontairement ralenti leur cadence de travail, ne répondaient pas aux appels entrants et n’avaient pas d’explications légitimes justifiant ces anomalies.
Leurs agissements ont été considérés comme une violation grave des obligations contractuelles, justifiant ainsi un licenciement pour faute grave.
En pratique, cette décision confirme que :
- Un employeur peut utiliser des données professionnelles pour prouver une faute, même si elles portent atteinte à la vie privée, à condition que cela soit strictement nécessaire et proportionné.
- La mise en place d’un système de contrôle doit être transparente, les salariés devant être informés en amont.
