Sanction disciplinaire : l’employeur peut-il vraiment choisir ?

Par un arrêt du 17 septembre 2025, la Cour de cassation rappelle un principe fondamental du pouvoir disciplinaire de l’employeur : celui-ci peut, pour des faits identiques, infliger des sanctions différentes à plusieurs salariés, sans que cela ne constitue une situation de discrimination, dès lors que cette différence repose sur des éléments objectifs.

En l’espèce, une salariée, licenciée pour faute grave pour avoir tardé à signaler des suspicions d’abus sexuels sur mineurs, contestait sa rupture au motif que deux collègues, impliquées dans la même situation, n’avaient pas été sanctionnées de la même manière. L’une avait reçu un avertissement, l’autre un licenciement pour faute grave.

La Cour de cassation a confirmé le raisonnement du juge du fond : la différence de traitement reposait sur des circonstances factuelles distinctes (durée du suivi de la famille, niveau d’information détenu, gravité du manquement) et a considéré qu’aucune discrimination n’était caractérisée.

Cet arrêt illustre la marge d’appréciation dont dispose l’employeur en matière disciplinaire. Cependant, ce pouvoir, s’il est réel, n’est pas absolu : il s’exerce dans un cadre juridique précis tout en devant rester proportionné, justifié et non discriminatoire.

 

  1. La notion de sanction disciplinaire

    Selon l’article L.1331-1 du Code du travail : 

    « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. »

    Autrement dit, toute mesure défavorable prise à la suite d’un comportement jugé fautif peut constituer une sanction disciplinaire, qu’elle soit directe (blâme, mise à pied, licenciement) ou indirecte (mutation, rétrogradation).

    En revanche, le simple rappel à l’ordre — par lequel l’employeur invite un salarié à respecter ses obligations sans manifester la volonté de le sanctionner — n’est pas une sanction disciplinaire. (Cass. soc., 19 sept. 2018, n°17-20.193 ; Cass. soc., 14 sept. 2010, n°09-66.180 ; Cass. soc., 13 déc. 2011, n°10-20.135 ; Cass. soc., 20 mars 2024, n°22-14.465).

     

  2. L’individualisation des sanctions : un pouvoir reconnu à l’employeur

    L’employeur dispose d’une liberté d’appréciation pour déterminer la nature et la sévérité de la sanction à infliger à un salarié fautif : il s’agit du pouvoir d’individualisation des sanctions. Cette faculté permet à l’employeur, dans l’intérêt de l’entreprise et dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, de sanctionner différemment des salariés qui ont participé à une même faute. (Cass. soc. 1er février 1995, n° 91-44.908)

    Cette liberté s’exprime notamment dans la possibilité de sanctionner différemment plusieurs salariés pour des faits similaires, à condition que la différenciation soit fondée sur des éléments objectifs. La jurisprudence a identifié plusieurs critères pouvant justifier une individualisation des sanctions.

    • le passé disciplinaire ou professionnel du salarié; 
    • son ancienneté et son comportement antérieur ;
    • la part prise dans la faute ou le degré d’implication ;
    • les conséquences concrètes de son comportement sur l’entreprise ;
    • l’intérêt de l’entreprise (Cass. soc., 29 janv. 1992, n°89-44.501).

      A l’inverse, un employeur peut également décider de ne sanctionner que certains salariés tout en épargnant d’autres participants à la même faute. (Cass. soc. 17 décembre 1996 n° 95-41.585)
      Ce principe d’individualisation découle d’une exigence d’équité et de proportionnalité : la même faute ne produit pas toujours les mêmes effets selon le contexte et le salarié concerné, renforçant ainsi la marge de manœuvre patronale en matière disciplinaire.

       

  3. Des sanctions différentes ne signifient pas discrimination

L’arrêt du 17 septembre 2025 confirme que l’égalité de traitement ne s’oppose pas à la différenciation des sanctions, dès lors que cette différenciation repose sur des éléments pertinents et objectivement vérifiables.

Dans l’affaire jugée, la salariée licenciée pour faute grave invoquait une discrimination disciplinaire en comparant sa sanction à celle de ses collègues. La Cour de cassation rejette l’argument, relevant que :

  • l’une des collègues, également licenciée pour faute grave, avait elle aussi tardé à alerter la hiérarchie ;
  • l’autre, sanctionnée d’un simple avertissement, n’avait suivi la famille concernée que quelques mois et n’avait pas eu connaissance de nouveaux éléments.

Ces différences objectives et circonstanciées justifiaient pleinement des sanctions distinctes. L’arrêt du 17 septembre 2025 vient donc renforcer la légitimité du pouvoir disciplinaire.

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