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Droit du Travail
par Arnaud Pilloix

Inventions de salariés : quid de la rémunération supplémentaire ?


En s’appropriant un droit au brevet qu’il ne réalise pas lui-même, l’employeur doit récompenser le salarié sur l’invention sur laquelle le brevet repose ou peut reposer.

 

1- L’article 1 ter de la loi du 13 juillet 1978 disposait que le salarié auteur d’une invention de mission « pouvait » bénéficier d’une rémunération supplémentaire. Il s’agissait donc d’une simple possibilité.

Le plus souvent les entreprises allouaient une prime pour une demande de brevet et une prime en fonction de l’intérêt de l’invention, en prenant en compte un multiple du salaire mensuel.

 

2- Toutefois, la loi du 26 novembre 1990 a remplacé la possibilité d’une rémunération supplémentaire par un droit : « Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une telle invention bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprises et les contrats individuelles de travail ».

La jurisprudence a d’ailleurs pris acte de cette évolution : « Mais attendu que l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi du 26 novembre 1990, modifiant l’article 1 ter de la loi du 13 juillet 1978 qui disposait que le salarié, auteur d’une invention de mission, pouvait bénéficier d’une rémunération supplémentaire, dispose que ce salarié doit dorénavant bénéficier d’une telle rémunération supplémentaire ».(Soc. 22 fév. 2005, n°03.11027)

La réforme de 1990 a reçu diverses interprétations.

Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu comme solution de principe que les restrictions conventionnelles au droit à rémunération supplémentaire étaient réputées non écrites comme contraires à la loi. (Soc. 22 fév. 2005, n°03.11027)

 

3- Ainsi, plusieurs conventions collectives ont été jugées illégales car elles apportées des restrictions au droit à rémunération supplémentaires.

 

  • CCN des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 étendue

 

Article 26

Inventions et brevets (Ajouté par accord du 12 septembre 1983, étendu par arrêté du 12 décembre 1983, JO 24 décembre 1983)

 « Les inventions des ingénieurs et cadres sont régies par les dispositions de la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention, modifiée par la loi n° 78-742 du 13 juillet 1978, ainsi que par les dispositions des décrets d’application de cette législation.

Lorsqu’un employeur confie à un ingénieur ou cadre une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, des études ou recherches, à titre permanent ou occasionnel, exclusif ou non exclusif, les inventions dont le salarié serait l’auteur dans l’exécution de cette mission, de ces études ou recherches sont la propriété de l’employeur, conformément au paragraphe I de l’article 1er ter de la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 modifiée.

 L’auteur de l’invention est mentionné comme tel dans le brevet, sauf s’il s’y oppose.

 La rétribution de l’ingénieur ou cadre tient compte de cette mission, de ces études ou recherches et rémunère forfaitairement les résultats de son travail. Toutefois, si une invention dont le salarié serait l’auteur dans le cadre de cette tâche présentait pour l’entreprise un intérêt exceptionnel dont l’importance serait sans commune mesure avec le salaire de l’inventeur, celui-ci se verrait attribuer, après la délivrance du brevet, une rémunération supplémentaire pouvant prendre la forme d’une prime globale versée en une ou plusieurs fois.

L’ingénieur ou cadre, auteur d’une invention entrant ou non dans les prévisions des deux alinéas précédents, doit en informer immédiatement son employeur conformément au paragraphe 3 de l’article 1er ter de la loi du 13 juillet 1978 précitée. Il s’interdit toute divulgation de cette invention ».

 

Interprétation par la jurisprudence :

La Cour de cassation a jugé que cette disposition devait être réputée comme inopposable au salarié:

« L’article 26 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie exclut la rémunération supplémentaire pour les inventions ne présentant pas pour l’entreprise un intérêt exceptionnel dont l’importance serait sans commune mesure avec le salaire de l’inventeur ; qu’en déduisant de ces constatations que l’article 26 de la convention collective, contraire au texte désormais applicable, lequel est d’ordre public, devait être réputé non écrit, dès lors que les clauses d’une convention collective ne peuvent restreindre les droits que le salarié tient de la loi ». (Soc. 22 février 2005, n°03-11027)

 

  • CCN des industries chimiques du 30 décembre 1952

 

Article 17 nouveau – Inventions brevetées (Résultant de l’accord du 18 avril 1985, art. 15, non étendu)

« 1 – Les inventions des ingénieurs et cadres sont régies par la loi no 68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention, modifiée par la loi no 78-742 du 13 juillet 1978, et notamment de l’article 1 ter, paragraphes 1, 2, 3.

 2 – Les dispositions suivantes s’appliquent aux inventions relevant du paragraphe 1 de l’article 1 ter de ladite loi :

« 1o  Le nom de l’inventeur doit être mentionné dans la demande de brevet, en France et dans tous les pays où la réglementation le permet, sauf s’il s’y oppose ;

2o  Si, dans un délai de dix ans consécutif au dépôt d’un brevet pour une invention visée au présent paragraphe II, ce brevet a donné lieu à une exploitation commerciale ou industrielle, directe ou indirecte, l’ingénieur ou le cadre dont le nom est mentionné dans le brevet a droit à une rémunération supplémentaire en rapport avec la valeur de l’invention, et ceci même dans le cas ou l’ingénieur ou le cadre ne serait plus en activité dans l’entreprise. Le montant de cette rémunération supplémentaire qui pourra faire l’objet d’un versement unique sera établi forfaitairement en tenant compte du cadre général de recherche dans lequel s’est placée l’invention, des difficultés de la mise au point pratique, de la contribution personnelle originale de l’inventeur et de l’intérêt économique de l’invention. L’intéressé sera tenu informé de ces différents éléments ;

 3o  Les entreprises s’efforceront de s’organiser pour informer l’inventeur en activité dans l’entreprise, qui en fera la demande et la renouvellera avec une périodicité raisonnable, de la situation des procédures de délivrance et de maintien en vigueur du ou des brevets dans lesquels son nom est mentionné. Les mêmes informations pourront être fournies dans les mêmes conditions à l’inventeur qui ne serait plus en activité dans l’entreprise, dans la mesure où celle-ci l’estimera compatible avec le secret des affaires. »

Interprétation par la Jurisprudence :

La CCN des industries chimiques a été écartée car elle retenait pour calculer les rémunérations supplémentaires les seuls brevets exploités.

Or « la loi ne distingue pas entre les brevets exploités et les brevets non exploités ».

« Les dispositions de l’article 17 de l’avenant ‘’ingénieurs et cadres’’ de la Convention collective nationale des industries chimiques, qui subordonnent le droit à la rémunération de l’inventeur salarié à l’exploitation commerciale ou industrielle, directe ou indirecte de l’invention dans un délai de 10 ans consécutifs au dépôt d’un brevet, sont contraires au texte susvisé (L.611-7 CPI), lequel est d’ordre public, en ce qu’elles restreignent les conditions d’octroi de la rémunération supplémentaire du salarié et doivent en conséquence être réputée non écrites. » (TGI Paris 24 sept. 2008 Levasseur c/ Laboratoire Goëmar SA)

A noter que l’ancien article 17 de la CCN Chimie cadre étendu, et qui limite quant à lui le droit à une rémunération à une exploitation dans les 5 ans a également été jugé illégal. (TGI Paris 19 juillet 2009, L’OREAL ; CA Douai 15 décembre 2009, Polimeri Europa France)

 

  • CCN de l’industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 étendue

 

Article 29 – Inventions des salariés

 « Les inventions des salariés sont régies par les dispositions de la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention, modifiée par la loi n° 78-742 du 13 juillet 1978, ainsi que par les dispositions des décrets d’application de cette législation.

 Lorsqu’un employeur confie à un salarié une mission inventive, correspondant à ses fonctions effectives, ou des études ou des recherches, à titre permanent ou occasionnel, exclusif ou non exclusif, les inventions dont le salarié serait l’auteur dans l’exécution de cette mission, de ces études ou de ces recherches sont la propriété de l’employeur, conformément au paragraphe 1 de l’article 1 ter de la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968, modifiée.

 L‘auteur de l’invention est mentionné comme tel dans le brevet, sauf s’il s’y oppose.

 La rétribution du salarié tient compte de cette mission, de ces études ou de ces recherches et rémunère forfaitairement les résultats de son travail. Toutefois, si une invention dont il est l’auteur dans le cadre de cette tâche présente pour l’entreprise un intérêt exceptionnel, il se verra attribuer, après la délivrance du brevet, une rémunération supplémentaire pouvant prendre la forme d’une prime globale versée en une ou plusieurs fois.

 Conformément au paragraphe 2 de l’article 1 ter de la même loi, toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés au décret n° 79-797 du 4 septembre 1979, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié. Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la Commission de conciliation instituée par l’article 68 bis de la même loi ou par le tribunal de grande instance, ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis, notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un ou de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention.

 Le salarié, auteur d’une invention, qu’elle soit faite ou non dans le cadre d’une mission inventive, doit en informer immédiatement son employeur conformément au paragraphe 3 de l’article 1 ter de la loi du 2 janvier 1968 précitée. 

Le salarié et l’employeur s’interdisent toute divulgation de nature à compromettre en tout ou partie l’exercice des droits conférés par la loi. »

 

Interprétation par la Jurisprudence :

La jurisprudence a considéré que cette clause devait être réputée comme non écrite car elle restreint le droit à la rémunération supplémentaire en conditionnant l’attribution d’une rémunération supplémentaire au salarié à la reconnaissance du caractère exceptionnel de l’invention pour l’entreprise. (TGI Paris 10 avril 2009)

 

  • Conventions collectives non encore jugées comme inopposables aux salariés mais comportant des clauses qui pourraient être qualifiées d’abusives au sens de la jurisprudence :

 

Convention Collective visant les bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs- conseils du 15 décembre 1987, article 75 :

« Si cette invention donne lieu à une prise de brevet par l’entreprise, une prime forfaitaire de dépôt sera accordée au salarié auteur de l’invention, qu’il ait accepté ou non d’être nommé dans la demande de brevet.

Si, dans un délai de cinq ans, consécutif à la prise du brevet ou du certificat d’utilité, le titre de propriété industrielle a donné lieu à une exploitation commerciale, le salarié auteur de l’invention a droit à une rémunération supplémentaire pouvant être versée sous des formes diverses »

 

Risque : Cette clause pourrait être jugée comme inopposable aux salariés car elle subordonne le droit à rémunération supplémentaire à un début d’exploitation industrielle de l’invention dans les 5 ans de la prise du brevet.

Or, cette exigence d’une exploitation industrielle ou commerciale de l’invention dans un délai déterminé à compter du dépôt de la première demande de brevet dans certaines conventions collectives a  déjà été jugée réputée non écrite (Cf CCN de la Chimie).

 

Dans le même ordre d’idée, Convention Collective de la Plasturgie du 1er juillet 1960 étendue, article 9 :

 « Lorsqu’une invention brevetée dont un salarié est à l’origine dans le cadre de la tâche qui lui est confiée présente un intérêt exceptionnel pour l’entreprise ou une de ses filiales, et dans la mesure où elle est exploitée, l’inventeur se verra attribuer une gratification en rapport avec l’intérêt de l’invention, et ceci, même si celui-ci n’est plus au service de l’employeur. »

 

En synthèse, concernant les inventions de mission, le droit à rémunération supplémentaire doit par principe être déterminé par la Convention collective et le contrats de travail selon les dispositions de l’article L.611-7 du Code de propriété intellectuelle. Les conventions collectives ayant été largement remises en cause par la jurisprudence, il est préférable de prévoir les modalités de paiement de la rémunération supplémentaire dans les contrats de travail d’une part, et de prévoir une procédure interne de validation des brevets d’autre part.

 

Pour aller plus loin:



Arnaud Pilloix

Avocat associé, Bordeaux

Passionné par ce métier captivant et soucieux d'apporter aux clients une approche innovante, nous avons créé le cabinet ELLIPSE AVOCATS en 2010 avec Arnaud RIMBERT et Sébastien MILLET. Conseiller au quotidien les dirigeants et DRH avec une équipe dynamique & disponible dans un cadre de travail confortable et bienveillant. Cette philosophie guide nos choix au quotidien pour apporter des solutions pragmatiques. A titre plus personnel, après un parcours universitaire en France et en Angleterre tourné vers le droit des affaires, c'est en droit du travail et des relations sociales que j'ai toujours exercé la profession d'avocat, ce qui me permet de plaider, d'auditer, de restructurer et de conseiller au quotidien nos clients. Cette diversité permet d'assouvir ma curiosité et de croiser chaque jour des profils, des domaines d'activité et des projets multiples et variés pour toujours se renouveler, et surtout ne jamais avoir de certitude. Et enfin et surtout des moments de déconnexion indispensables pour trouver l'équilibre, sur une planche de surf et dans ma vie de famille.

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