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Droit du Travail
par Sébastien Millet

Un Inspecteur du travail peut-il invoquer la protection du lanceur d’alerte en cas de divulgation d’information confidentielles de l’entreprise ?


La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite SAPIN II) a instauré un cadre protecteur pour les lanceurs d’alerte :

  •  D’une part, en posant une définition du lanceur d’alerte (« personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance » ; à l’exception des « faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client » qui sont exclus du régime de l’alerte).
  • D’autre part, en prévoyant que l’alerte puisse constituer une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale (« N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus » ci-dessus -cf. C. Pén., art. 122-9).

Ce dispositif intéresse au premier plan les entreprises, soucieuses de la protection de leur patrimoine informationnel, réputationnel et stratégique (cf. précédente chronique : cf. article précédent).

Face à des affaires à fort potentiel médiatique, la question est de savoir comment ce nouveau dispositif est susceptible de recevoir application en jurisprudence.

Une récente décision vient éclairer les choses, concernant une affaire édifiante à plus d’un titre, puisqu’il s’agissait d’un Inspecteur du travail mis en cause à titre personnel et poursuivi pour des délits de recel et violation du secret professionnel (Cass. Crim. 17 octobre 2018, n° 17-80485).

En appel, l’agent public s’est vu -assez symboliquement- condamné à une peine d’amende (3 500 euros avec sursis) pour avoir reçu des documents émanant d’une entreprise alors qu’il ne pouvait ignorer qu’ils étaient confidentiels et avaient été obtenus de manière clandestine et transmis par un informateur anonyme sans l’accord des cadres dirigeants concernés, puis en avoir fait un usage privé en les transférant à divers syndicats au lieu de les communiquer au Procureur de la République alors qu’il estimait que ces informations étaient de nature à caractériser une infraction à l’encontre de leurs auteurs.

Rappelons notamment qu’en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, tout « fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Pour les juges du fond, ces circonstances caractérisaient à la fois le délit de recel et de violation du secret professionnel (rappelons ici que les agents de contrôle de l’inspection du travail sont soumis au secret professionnel dans les conditions prévues par la loi – cf. C. Trav., L8113-10 et R8124-23).

En appel, la protection du lanceur d’alerte était en débat.

Cette protection était refusée à la prévenue en considérant que les documents obtenus irrégulièrement, puis divulgués n’étaient pas strictement nécessaires à l’exercice de ses droits de défense, dans la mesure où il n’était mis en cause dans aucune procédure à la date des faits et que la transmission de ces documents litigieux à des organisations syndicales ne pouvait qu’alimenter les vives tensions existant au sein de l’entreprise.

Devant la Cour de cassation, le moyen de défense tiré du statut de lanceur d’alerte reçoit en revanche un écho favorable.

L’arrêt d’appel est ainsi annulé, au visa notamment de l’article 112-1 alinéa 3 du Code pénal, selon lequel les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes : « Mais attendu que la situation de la prévenue n’a pas été examinée au regard de l’article 7 de la loi du 9 décembre 2016 susvisée, qui a institué, à compter du 11 décembre 2016, une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale au bénéfice de la personne ayant, dans certaines conditions, porté atteinte à un secret protégé par la loi ; Attendu qu’il y a lieu, dès lors, de procéder à un nouvel examen de l’affaire au regard de ces dispositions plus favorables ».

Ce faisant, la Cour de cassation se limite à faire application d’une exigence fondamentale liée au principe de légalité des délits et des peines (application rétroactive de la loi pénale nouvelle plus douce à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur).

Elle considère que les juges auraient dû rechercher si, comme le soutenait la prévenue, la protection du lanceur d’alerte était applicable, au lieu de la rejeter au motif d’alerte que le champ d’application de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail (non-discrimination) est limité aux relations de travail entre employeurs et salariés de droit privé, que le fait dénoncé doit nécessairement être constitutif d’un délit ou crime et non simplement susceptible de l’être, et qu’aucune cause d’irresponsabilité ne pouvait justifier les agissements en l’espèce.

Les faits devront donc être rejugés au regard du nouveau dispositif, ce qui ne préjuge pas du sens de la décision à venir sur le fond, notamment sur le point de savoir si effectivement, l’Inspecteur du travail pouvait ici se prévaloir de la protection accordée au lanceur d’alerte.

En effet, les juges devront réexaminer les faits à la lumière des exigences posées par la loi concernant :

  • la nature de la violation dénoncée ;
  • l’agissement désintéressé et de bonne foi ;
  • la nécessité et la proportionnalité de l’alerte ;
  • le respect des procédures dédiées de signalement.

Au cœur de ce débat repose ici la question de l’exercice ou non des droits de la défense dans la mesure où l’agent soutenait que les destinataires de l’alerte étaient des personnes susceptibles de la défendre dans le cadre d’un litige l’opposant à sa hiérarchie dans un contexte de pressions alléguées visant à entraver sa mission de contrôle au sein de l’entreprise, de nature à caractériser une infraction pénale de délit d’obstacle.

Dans un contexte de relations souvent tendues entre les entreprises contrôlées et les agents, l’issue de cette affaire présente un intérêt particulier, même s’il faut rappeler que les circonstances de cette affaire sont très particulières et que l’action des agents est aujourd’hui mieux encadrée par un Code de déontologie (cf. article précédent).

 

*Article publié sur www.preventica.com



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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