par Claire Golias
Motif économique de licenciement : le contrôle de la faute de l’employeur n’implique pas un contrôle de ses choix de gestion
Par principe, le juge judiciaire, qui contrôle la réalité du motif économique de licenciement, ne peut juger de la pertinence de la gestion de l’entreprise par l’employeur.
Ce principe connaît néanmoins une limite (outre la fraude), qui est la faute ou la légèreté blâmable allant au-delà de la simple erreur de gestion.
La Cour de cassation juge en effet de façon constante que si les difficultés économiques ou la cessation d’activité de l’entreprise (qui sont des motifs économiques de licenciement prévus par l’article L.1233-3 du Code du travail) relèvent d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur, le licenciement doit être jugé comme sans cause réelle et sérieuse.
La Cour vient de réaffirmer cette solution, cette fois-ci en cas de licenciements économiques justifiés par la réorganisation de l’entreprise nécessaire à sauvegarder sa compétitivité, dans un arrêt du 4 novembre 2020 (Cass soc, 4 nov. 2020, n° 18-23029), tout en rappelant néanmoins que la simple erreur de gestion ne peut être reprochée à l’employeur.
Dans cette affaire, la société Pages Jaunes avait proposé à plusieurs de ses salariés une modification de leur contrat de travail pour motif économique justifiée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité. Ceux qui ont refusé ont ainsi été licenciés.
Ces salariés ont ensuite contesté leur licenciement non pas en attaquant directement le motif économique, à savoir la nécessité pour la société de sauvegarder sa compétitivité, mais en affirmant que la menace qui avait pesé sur la compétitivité, et qui avait donc justifié leur licenciement, était due à une faute de gestion de leur employeur. Les salariés ont en effet dénoncé le montage financier dont avait fait l’objet la société qui avait été vendue à des fonds d’investissement au moyen d’un rachat avec emprunt dont elle finançait elle-même le remboursement (opération de LBO). Selon eux, ce montage avait ainsi eu pour conséquence directe d’avoir « asséché la source de financement des nécessaires et incontournables investissements stratégiques » dans un contexte très concurrentiel, mettant à mal sa compétitivité.
Alors que la Cour d’appel avait donné gain de cause aux salariés, la Chambre sociale casse l’arrêt :
- En rappelant tout d’abord que « si la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation, l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute » ;
- En relevant ensuite que la Cour d’appel a caractérisé la faute de l’employeur par « des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires, (…) pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion » ;
- En jugeant enfin que ces motifs sont insuffisants à caractériser la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise.
La Cour de cassation reste donc manifestement vigilante à ce que, sous couvert d’un contrôle de la faute, les Juges du fond n’opèrent pas un contrôle des décisions de gestion de l’employeur.
licenciement économique • motif économique