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Droit du Travail
par Arnaud Pilloix

Télétravail : quelles obligations financières pour l’employeur ?


Avec la crise sanitaire actuelle de nouveaux modes de travail, à l’image du télétravail se sont démocratisés dans le monde de l’entreprise.

Du fait du déploiement massif de ce télétravail dit de « crise », de nouvelles revendications ont été observées. A cet égard, il convient de rappeler que cette organisation du travail, de plus en plus plébiscitée par les salariés, demeure un avantage que l’employeur peut refuser d’octroyer.

Quoiqu’il en soit, les différents confinements ont conduit certains salariés à engager pour la première fois des frais professionnels.

S’est alors posée, la question des obligations financières de l’employeur : doit-il prendre en charge le coût de ce télétravail de crise ?  Ou encore doit-il verser une indemnité d’occupation aux salariés confinés en raison de l’état d’urgence sanitaire ?

Voici en synthèse les principaux éléments à retenir.

 

  1. L’employeur doit-il prendre en charge les coûts résultants de l’exercice du télétravail régulier ?

Oui. Bien que depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, cette obligation ne soit plus expressément inscrite au sein de l’article L.1222-10 du Code du travail, l’employeur reste toujours soumis à l’obligation générale de prendre en charge les frais engagés par un salarié dans le cadre de son travail (Cass. Soc. 25 mars 2010 n°08-43.156). Ainsi, les frais générés par le télétravail étant réputés être des dépenses inhérentes à l’emploi, ils doivent être pris en charge par l’employeur.

Ce principe est d’ailleurs rappelé à l’article 7 de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 qui prévoit la prise en charge de ces coûts par l’employeur, tout comme la fourniture, l’installation et l’entretien des équipements nécessaires au télétravail.

Toutefois, il convient de préciser que cette règle n’est pas absolue. En effet, la jurisprudence a récemment précisé que le salarié prenant l’initiative de télétravailler, sans l’accord de son employeur, et en absence de tout accord collectif allant dans ce sens, n’obtiendra pas le remboursement des frais engagés (Cass. Soc. 17 février 2021 n°19-13.583).

Autrement dit, seuls les coûts résultant d’un télétravail encadré par un accord collectif, ou une charte, ou encore un accord de l’employeur, doivent être pris en charge par l’employeur.

A noter : comme le précise l’ANI du 24 novembre 2020, il est préférable de négocier la mise en place des modalités de prise en charge des frais dans le cadre d’un accord collectif, ou une charte, ou un accord de l’employeur.

 

2. Cette obligation est-elle applicable en cas de télétravail occasionnel ?

A priori, oui. Bien que depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, le Code du travail n’impose plus expressément à l’employeur la prise en charge des frais engagés par le télétravail, plusieurs autres sources juridiques laissent entendre que cette prise en charge demeure en vigueur pour le télétravail occasionnel. En effet :

  • L’article L.1222-9 du Code du travail envisage expressément l’application aux télétravailleurs, dont ceux occasionnels, des règles protégeant les travailleurs à domicile, or ces derniers ont droit à la prise en charge de leurs frais d’atelier en application de l’article L 7422-5 du Code du travail ;
  • La Cour de cassation impose la prise en charge patronale des frais professionnels sans faire de restriction (Cass. soc., 25 mars 2010, n° 08-43.156 ; Cass. soc., 20 juin 2013, n° 11-23.071) ;
  • Enfin, l’article 3.1.5 de l’ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre du télétravail réussie précise le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail (télétravail occasionnel compris), et qu’à ce titre, il appartient à l’entreprise de prendre en charge les dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur. Ce dernier point a fait l’objet d’une réserve notifiée par l’arrêté du 2 avril 2021, qui précise que cette validation patronale doit être préalable à l’engagement de toutes dépenses.

Ainsi, les dépenses engagées par le salarié en télétravail occasionnel pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, semblent devoir être prises en charge par l’entreprise.

3. Le coût des équipements de travail ergonomique pour les salariés en télétravail est-il à la charge de l’employeur ?

Oui. Comme nous l’avons expliqué ultérieurement, l’employeur doit prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, dont le coût du matériel nécessaire au télétravail.

D’autant que, conformément aux dispositions de l’article L.4122-2 du Code du travail, les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs.

Autrement dit, lorsqu’il est instauré un télétravail régulier, les équipements de travail assurant une protection optimale de la santé et sécurité des salariés concernés, sont nécessairement à la charge de l’employeur. Si le salarié en fait l’avance, il pourra en obtenir le remboursement, sur justificatifs, à condition que la dépense soit bien nécessaire, justifiée et non excessive.

 

4. Les frais professionnels liés au télétravail régulier sont-ils exclus de l’assiette des cotisations sociales ?

Oui. Selon l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale modifié par l’arrêté du 25 juillet 2005, trois catégories de dépenses inhérentes au télétravail peuvent être exclues de l’assiette des cotisations, à savoir :

  • les frais fixes et variables liés à la mise à disposition d’un local privé pour un usage professionnel ;
  • les frais liés à l’adaptation d’un local spécifique ;
  • les frais de matériel informatique, de connexion et de fournitures diverses.

Il convient néanmoins de préciser que d’autres types de frais peuvent être exclus de l’assiette de cotisations sociales, à condition que l’employeur puisse démontrer qu’il s’agit de frais professionnels liés au télétravail.

Toutefois, lorsque le matériel appartenant au salarié est réputé à usage exclusivement personnel, l’employeur ne peut pas prétendre à l’exonération de frais professionnels.

Attention : au regard de la notion de télétravail établie par le Bulletin officiel de sécurité sociale, il semble que cette règle ne s’applique qu’au télétravail  :

  • D’une part régulier ;
  • Et d’autre part prévu dans le contrat de travail ou un avenant.

Autrement dit, les frais professionnels engendrés par le télétravail occasionnel semblent inclus dans l’assiette de cotisations sociales.

 

5. Ces exonérations sociales concernent-elles toutes les modalités de prise en charge des frais ?

Il existe deux modalités de prises en charge des frais :

  • soit sous forme de remboursement des dépenses réellement engagées par le salarié sur présentation de justificatifs ;
  • soit sur la base d’allocations forfaitaires.

Dans le cas où l’employeur verse une allocation forfaitaire globale, l’Urssaf précise que cette dernière est exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10 € par mois pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine, de 20 € par mois pour deux jours de télétravail par semaine, 30 € par mois pour 3 jours, etc.

Depuis janvier 2021, l’Urssaf a complété ce dispositif en indiquant que si l’allocation forfaitaire est prévue par la convention collective de branche, l’accord professionnel ou interprofessionnel ou un accord de groupe, elle est également réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des montants prévus par accord collectif.

Dans le cas, où le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’Urssaf souligne que l’exonération pourra être admise, à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié.

Attention : la règle concernant l’exonération de cotisation et contributions sociales, issue d’une tolérance de l’Urssaf depuis janvier 2020 est désormais intégrée dans le site du Bulletin officiel de sécurité sociale (BOSS), ce qui la rend opposable aux contrôleurs Urssaf et aux juges en cas de redressement, depuis le 1er avril 2021. Ce qui n’est pour l’instant pas le cas de la possibilité de prévoir une allocation forfaitaire par accord collectif, qui demeure alors une tolérance administrative.

 

6. Le coût de l’abonnement internet personnels des salariés utilisé à des fins professionnelles durant la crise sanitaire, est-il pris exonéré de cotisations sociales ?

Avec le recours au télétravail massif, de nombreux salariés ont été contraints d’utiliser à des fins professionnelles des abonnements internet dont ils disposent à titre personnel.

Sur son site, l’Urssaf précise qu’en cas de pandémie grippale et de recours au télétravail, deux situations doivent être distinguées :

  • Soit l’employeur est en mesure de justifier de façon certaine de toutes les heures de connexion consacrées exclusivement à l’activité professionnelle. Dans ce cas, bien qu’il soit matériellement complexe d’établir avec certitude un décompte exacte, la prise en charge du coût de l’abonnement au prorata du temps de connexion lié à l’usage professionnel pourra être exonérée de cotisations sociales quel que soit ce temps professionnel ;

 

  • Soit, l’évaluation de l’utilisation professionnelle ne repose que sur une simple déclaration des salariés. Dans ce cas, elle est retenue en franchise de cotisations dans la limite maximale de 50 % du nombre d’heures d’usage total.

 

 

7. Les allocations versées par l’employeur au titre du télétravail exercé en 2020 sont-elles exonérées d’impôt sur le revenu ?

Oui. Le ministère de l’économie, des finances et de la relance a indiqué dans un communiqué de presse en date du 2 mars 2021 que les allocations versées par l’employeur au titre du télétravail à domicile en 2020 seront exonérées d’impôt sur le revenu.

Ces allocations peuvent prendre la forme d’indemnités, de remboursements forfaitaires ou encore de remboursements de frais réels.

Concernant les allocations forfaitaires, elles seront exonérées dans la limite de 2,5 € par jour de télétravail, soit une exonération de 50 € pour un mois comprenant 20 jours de télétravail, dans la limite annuelle de 550 €.

 

8. Qu’est-ce qu’une indemnité au titre de l’occupation du domicile du salarie à des fins professionnelles ?

L’indemnité d’occupation du domicile a pour objectif de compenser l’occupation liée à l’utilisation du logement personnel à des fins professionnelles. A l’inverse du remboursement des frais professionnels, il ne s’agit donc pas d’une contrepartie de dépenses à caractère professionnel. (Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014).

De ce fait, elle demeure soumise à cotisations.

 

9. Quelles sont les conditions d’ouverture du droit à l’indemnité d’occupation ?

Actuellement, la Cour de cassation considère que ce n’est que si aucun local professionnel n’est mis à la disposition du salarié, que le salarié qui travaille à son domicile doit être indemnisé de cette sujétion particulière, outre le remboursement des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile (Cass. soc., 4 déc. 2013, n° 12-19.667)

Ainsi, au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation il n’est pas nécessaire que l’employeur impose que le travail soit effectué au domicile ; il suffit que l’exécution des tâches au domicile (par exemple tâches administratives des commerciaux) ne résulte pas du choix des salariés mais de la nécessité de pouvoir s’y consacrer sérieusement dans de bonnes conditions (Cass. soc., 8 nov. 2017, n° 16-18.499).

Deux décisions de Cour d’Appel, sur des faits survenus avant la crise sanitaire, semblent toutefois revenir sur cette interprétation. En effet, selon ces juges du fond, l’employeur serait tenu de verser une indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles dans les cas suivants : (Cour d’Appel de Versailles, 10 juin 2021, n°19/00892 ; Cour d’Appel de Poitiers, 29 avr. 2021, no 18/03791)

  • lorsque l’employeur impose une sujétion particulière au salarié ;
  • et/ou lorsqu’un local professionnel n’est pas mis à la disposition du salarié par l’employeur.

Ainsi, si la première condition liée à l’absence de mise à disposition d’un local professionnel découle de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, ce n’est pas le cas de celle liée à la sujétion particulière subie par le salarié à la demande de l’employeur.

Par conséquent, la confirmation de cette décision par la Cour de cassation, engendrerait :

  • Un impact économique important notamment pour les entreprises envisageant de généraliser le télétravail après la crise sanitaire ;
  • De nombreux questionnements quant à la transposition de ces règles au télétravail imposé du fait de la crise sanitaire.

En tout état de cause, au regard des évolutions jurisprudentielles en la matière, il semble opportun, si le salarié est à l’initiative du télétravail, d’en conserver la preuve par tout moyen (courriel, logiciel, etc.)

 

10. Quel doit être le montant de l’indemnité d’occupation ? 

Le montant de cette indemnité est fixé en fonction de l’importance de la sujétion supportée par le salarié.

Récemment la Cour de cassation a d’ailleurs confirmé que le montant de l’indemnité d’occupation du domicile des salariées à des fins professionnelles ne peut dépendre que de l’importance de la sujétion imposée à chaque salariée, du fait de l’immixtion dans sa vie privée du travail à accomplir pour l’employeur et de la nécessité de stocker des matériels professionnels à son domicile.

De sorte que pour la Cour, il n’y a pas lieu, pour établir le montant de cette indemnité, de tenir compte du temps consacré à l’activité professionnelle au domicile, ou encore du temps de travail effectif ou des mandats de représentation du personnel. (Cass. Soc. 10 mars 2021 n°19-16237)

 



Arnaud Pilloix

Avocat associé, Bordeaux

Passionné par ce métier captivant et soucieux d'apporter aux clients une approche innovante, nous avons créé le cabinet ELLIPSE AVOCATS en 2010 avec Arnaud RIMBERT et Sébastien MILLET. Conseiller au quotidien les dirigeants et DRH avec une équipe dynamique & disponible dans un cadre de travail confortable et bienveillant. Cette philosophie guide nos choix au quotidien pour apporter des solutions pragmatiques. A titre plus personnel, après un parcours universitaire en France et en Angleterre tourné vers le droit des affaires, c'est en droit du travail et des relations sociales que j'ai toujours exercé la profession d'avocat, ce qui me permet de plaider, d'auditer, de restructurer et de conseiller au quotidien nos clients. Cette diversité permet d'assouvir ma curiosité et de croiser chaque jour des profils, des domaines d'activité et des projets multiples et variés pour toujours se renouveler, et surtout ne jamais avoir de certitude. Et enfin et surtout des moments de déconnexion indispensables pour trouver l'équilibre, sur une planche de surf et dans ma vie de famille.

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