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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Quand la problématique énergétique s'invite au menu des orientations stratégiques de l’entreprise et du dialogue social  


Il semble difficile d’échapper à l’appel à la sobriété énergétique en vue des mois à venir, qui ne manque pas d’alimenter le phénomène d’éco-anxiété actuel.

Le temps est revenu aux réalités et à une prise de conscience collective sur les vulnérabilités de nos sociétés et à notre dépendance dans un contexte géopolitique dégradé, où la croyance dans la solidité d’un modèle de mondialisation reposant sur des filières fonctionnant en flux tendu vole en éclats. Fini, les illusions ?

Si personne ne peut sérieusement prétendre savoir quel sera le niveau d’impact à moyen et long terme, une chose est sûre, les entreprises ont fortement intérêt à anticiper différents scénarios d’évolution.

Autant que faire se peut, cela constitue dès maintenant un sujet de préoccupations et de dialogue social interne avec les salariés et leurs représentants, qui peut même relever des orientations stratégiques d’une entreprise.

Pas d’énergie, pas de travail …

La question n’est plus seulement de l’ordre de la RSE ou du devoir de vigilance (ou « comment réduire les impacts environnementaux de l’entreprise »), il s’agit aussi de se montrer résilient sur le plan de l’activité et de l’organisation (= comment anticiper et s’adapter au risque de restrictions, voire de blackout ?).

Après la crise sanitaire, les plans de continuation d’activité (PCA) devraient à nouveau être mis à l’honneur et mis à jour par les CODIR et COMEX pour préparer ces mois difficiles et le risque d’approvisionnement.

Le secteur de l’industrie n’est pas le seul concerné. Toutes les entreprises sont ou vont être impactées plus ou moins en profondeur, sans compter l’effet domino au niveau des fournisseurs qui se répercute sur toutes les chaînes d’approvisionnement et vient alimenter l’inflation par effet d’inertie.

Forcément, cela affecte la capacité de l’entreprise à investir sur le volet social, dans un contexte de rentrée très tendu (pouvoir d’achat, difficultés de recrutement, etc.).

Sans doute l’objectif sera-t-il ici de faire de la pédagogie pour éviter le piège des « surenchères ».

Face à ces injonctions contradictoires, l’équation économique et sociale s’annonce particulièrement délicate ces prochains mois, sans parler de la question du « mur de la dette » pour certaines entreprises et du remboursement des PGE octroyés dans le cadre de la crise sanitaire …

Pour les entreprises « énergo-intensives », fortement consommatrices d’électricité ou de gaz naturel, c’est déjà une réalité puisqu’elles ont vu leurs bilans lourdement plombés par les hausses tarifaires (à noter qu’un décret n° 2022-967 du 1er  juillet 2022 a prévu utilement une aide conditionnelle sous forme de subvention, afin de compenser la hausse des coûts d’approvisionnement de gaz naturel et d’électricité pour les entreprises grandes consommatrices d’énergie particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine).

Ces entreprises se voient également mises à contribution pour assurer le bon fonctionnement des réseaux de transport et de distribution, avec la possibilité d’activer des mécanismes volontaires d’« interruptibilité » rémunérée, ou de « délestage » obligatoire (cf. décret n° 2022-495 du 7 avril 2022 relatif au délestage de la consommation de gaz naturel et modifiant le code de l’énergie, qui consiste pour certains clients « énergivores » en diminution importante de la consommation de gaz en moins de 2h, pouvant aller jusqu’à l’arrêt complet du service).

Concernant la fourniture d’électricité, la loi sur le pouvoir d’achat n° 2022-1158 du 16 août 2022, étoffe les dispositifs d’ajustement à l’égard des exploitants pour assurer une disponibilité en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d’approvisionnement (telles que réquisition de restriction/ suspension de l’activité d’installations de production d’électricité à partir du gaz naturel, mobilisation des capacités d’effacement électrique, de stockage, ou encore de production issue d’alimentation de secours).

Rappelons que la France est confrontée à une sous-capacité conjoncturelle sur sa production électro-nucléaire (qui nous impose d’importer de l’électricité !), alors que les besoins des entreprises, collectivités et particuliers sont de plus en plus gourmands en électricité et que les énergies renouvelables sont loin de suffire …

L’appel aux éco-gestes citoyens est plus que jamais indispensable.

Les entreprises ont sur ce point un rôle important à jouer, notamment en termes de sensibilisation auprès de leur personnel sur les bonnes et mauvaises pratiques tant sur le plan de l’usage professionnel que privé (à commencer par les systèmes d’information, dont on ne mesure souvent pas l’impact effarant en termes de consommation électrique).

C’est toute une culture de sobriété énergétique à développer ou renforcer. Tous les « petits gestes » comptent, même si l’on reste aussi tributaire d’infrastructures et d’équipements qui n’ont pas forcément été toujours conçus pour réduire la consommation, by design.

Précisons que les entreprises exploitant des bâtiments tertiaires d’une surface supérieure ou égale à 1 000 m² sont soumises au Dispositif Eco Efficacité Tertiaire (DEET), imposant une réduction progressive des consommations énergétiques en vue d’y économiser 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040, et 60% d’énergie d’ici 2050 (cf. décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 dit « décret tertiaire » dans le cadre de la loi ELAN). Elles doivent dans ce cadre -sous peine de sanctions- déclarer annuellement d’ici le 30 septembre leurs consommations N-1, via la plateforme OPERAT gérée par l’ADEME.

Tout cela n’est pas sans lien avec les attributions du CSE, sachant que depuis la mise à jour de la BDESE et de ses indicateurs environnementaux (cf. décret n° 2022-678 du 26 avril 2022), les représentants du personnel doivent être informés notamment sur l’utilisation durable des ressources : consommation d’eau et consommation d’énergie, que l’effectif soit égal ou supérieur à 300 salariés (C. Trav., R2312-9), ou inférieur à ce seuil (C. Trav., R2312-8).

Rappelons que depuis la loi Climat et résilience n° 2021-1104 du 22 août 2021, qui vient de fêter sa première année, la prise en compte des conséquences environnementales des décisions patronales au regard des intérêts des salariés relèvent des attributions du CSE (entreprises de 50 salariés et +), imposant une procédure d’information-consultation formelle sur les projets de décisions intéressant la marche générale de l’entreprise (C. Trav., L2312-8).

A cela s’ajoute également l’information -via la BDESE- du CSE sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise à l’occasion des 3 grandes consultations périodiques relatives aux orientations stratégiques de l’entreprise, à la situation économique et financière de l’entreprise, ainsi qu’à la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Si habituellement, la question énergétique paraît plutôt éloignée des problématiques traitées en CSE (hormis pour certaines entreprises), on perçoit bien ici que le sujet risque de présenter un enjeu juridique qui ne pourra être éludé.

Par exemple, si cela induit des modifications organisationnelles ou techniques de nature à entraîner un aménagement important des conditions de travail, de santé ou de sécurité (cf. p. ex. équipements susceptibles d’être affectés par des coupures/ restrictions). Attention toutefois à ce que cela ne conduise pas à neutraliser des dispositifs de sécurité ou des protections collectives, ce qui pourrait constituer sinon un manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé. Potentiellement, cette question mérite d’être prise en compte en termes d’analyse des risques professionnels et pourra nécessiter si besoin une mise à jour du document unique (laquelle requiert également une consultation du CSE pour avis).

On pense également à la situation dans laquelle une entreprise se trouverait contrainte de devoir interrompre son activité, et recours à l’activité partielle. Typiquement, celle-ci est possible mais en vertu d’un autre motif que celui utilisé dans le cadre de la crise sanitaire, puisque l’employeur peut placer ses salariés en position d’activité partielle lorsque l’entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité notamment en raison de « difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie » (C. Trav., R5122-1).

Dans ce prolongement, il semble difficile de ne pas appréhender la problématique du télétravail : au-delà de la question de la prise en charge des frais professionnels lié aux consommations d’énergie(s), la question de la déconnexion forcée en cas de coupure réseaux risque de se poser en termes de continuité d’activité, avec des disparités entre collaborateurs.

Sans prétendre ici répondre à toutes les questions susceptibles de se poser, cela laisse entrevoir la nécessité d’anticiper de nouvelles questions dans le champ du dialogue social, et le fait que la question de la transition énergétique et environnementale devient sujet de fond sur le plan RH.

 

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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