par Maylis CARBAJAL
Le vote du Président du Comité Social et Economique (CSE) : enjeux et stratégies
Le Comité Social et Économique (ci-après CSE), en tant qu’instance unique de représentation du personnel, dispose de nombreuses prérogatives, parmi lesquelles rendre des avis, prendre des décisions ou encore adopter des résolutions. L’instance étant collégiale et amenée à délibérer, l’organisation d’un scrutin interne est la voix privilégiée pour permettre l’expression de ses membres.
Une question se pose alors : qui peut participer au vote ?
Cet article a été publié dans la revue Les Cahiers Lamy du CSE du mois de septembre 2023.
La composition de l’instance est très variée, tous ses membres ne disposent pas du même statut et ne jouissent donc pas de prérogatives identiques. C’est notamment le cas de l’employeur, la Direction de la société étant appelée ainsi par le Code du travail dans ses dispositions relatives au fonctionnement du CSE. Au sein du CSE, l’employeur occupe une place atypique. Contrairement aux autres membres, il n’est pas élu mais désigné d’office par la loi pour en être le président1.
L’employeur, ou son représentant, bien qu’étant membre à part entière du CSE, conserve un statut particulier du fait de sa qualité d’employeur et ne peut ou ne doit donc pas prendre part à tous les votes.
Dans ce cadre, deux problématiques se posent à chaque scrutin :
- Le président peut-il prendre part au vote ?
- Le président doit-il prendre part au vote ?
Le législateur et la jurisprudence répondent partiellement à la première de ces questions, quand la seconde appelle de nombreuses interrogations.
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La participation par le président au vote du CSE
S’agissant de la participation de l’employeur au vote du CSE, le Code du travail pose le principe : l’employeur ne doit pas prendre part au vote lorsqu’il consulte le CSE en tant que délégation du personnel2.
Cette interdiction est justifiée par le fait que dans tous les cas où les membres du CSE sont consultés en tant que délégation du personnel, ils expriment leur position en au titre de représentants du personnel, qualité dont l’employeur ne dispose pas.
Par opposition, pour les questions de fonctionnement et les mesures d’administration internes du CSE, l’employeur ou son représentant, en tant que membre de l’instance, peut en principe prendre part au vote. Il convient ici de préciser que lorsqu’il participe l’employeur ne dispose que d’une seule voix et celle-ci n’est pas prépondérante, quand bien même s’il serait assisté de collaborateurs3.
Ainsi, avant chaque vote, il appartient à l’employeur de s’interroger sur la nature du sujet traité afin de déterminer s’il est en droit ou non de participer. Si la question semble simple, l’arbitrage est parfois complexe à réaliser en pratique dans la mesure où ni la loi, ni la jurisprudence ne définissent clairement les cas dans lesquels le CSE intervient au titre de « délégation du personnel ».
Sur les consultations récurrentes4 ou ponctuelles5 dont la responsabilité de l’organisation incombe à l’employeur, la réponse est simple : le président ne prend pas part au vote. Cette interdiction est justifiée par le fait que l’objet de ces consultations est de recueillir l’avis du CSE sur des propositions faites par l’employeur. Autoriser l’employeur à voter reviendrait ainsi à lui permettre de se prononcer sur sa propre proposition.
En revanche, dans d’autres cas, et notamment pour l’adoption de résolutions, la distinction n’est pas aussi aisée à réaliser.
Au fil du temps, les arrêts de la Cour de cassation sont venus définir les matières pour lesquelles le comité d’entreprise (ci-après CE), le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des conditions de travail (CHSCT) puis le CSE qui les a remplacés, sont consultés en tant que « délégation du personnel », et donc pour les hypothèses dans lesquelles le président du CSE doit s’abstenir de voter.
C’est notamment le cas des décisions portant sur la désignation par le CSE de délégués à d’autres instances parmi ses membres. Cette restriction vise notamment l’élection des délégués au CSE central6 ou encore des représentants de l’instance au conseil d’administration ou de surveillance7.
Il en va de même pour les votes en matière de désignation d’intervenants externes tels que des experts. Ainsi, il a déjà été jugé que l’employeur ne participe pas à la désignation par le CSE d’un expert dans le cadre d’un projet modifiant les conditions de santé et sécurité8.
Dans un arrêt de février 2022, la Cour de cassation a suivi, et même renforcé cette position en jugeant que la décision par laquelle le un CHSCT mandate l’un de ses membres pour agir en justice afin de garantir l’exécution de la décision du comité de désigner un expert a lieu sans le vote du président9.
Cette décision est prise en application du principe selon lequel l’accessoire suit le principal : le président ne prend pas part au vote du CSE actant la désignation de l’expert, dès lors il ne participe pas non plus au vote désignant un mandant pour agir en justice afin de faire appliquer la première décision.
Ainsi, dans de nombreux domaines, la position de la jurisprudence est claire et le vote du président du CSE toujours exclu. Toutefois, pour d’autres sujets, la position de la jurisprudence n’est pas aussi tranchée. C’est notamment le cas en matière de gestion par le CSE des budgets qui lui sont octroyés.
S’agissant de la gestion du budget de fonctionnement du CSE c’est l’administration qui est venue préciser que c’est une question qui appartient uniquement aux membres élus du CSE10.
En revanche, sa position pour la gestion du budget des activités sociales et culturelles (ci-après ASC) diffère selon les chambres.
La Chambre sociale de la Cour de cassation considère que le vote portant sur la gestion des ASC relève de la compétence des membres élus du CSE comme « délégation du personnel ». Elle estime en conséquence que l’employeur ne peut pas y participer11. Avant elle, la Chambre criminelle avait adopté la position inverse en jugeant que, lorsque le comité est saisi d’une proposition concernant la gestion des ASC, il ne se prononce pas en tant que délégation du personnel12. Cette position permet alors à l’employeur de prendre part au vote.
Si, en pratique, la participation du président au vote est la plupart du temps exclue, ni la loi, ni la jurisprudence ne permettent d’adopter une position systématiquement fiable.
Face à cette difficulté, il convient alors de s’interroger sur les conséquences d’une participation à tort à un scrutin par l’employeur.
Pour les juges, la participation de l’employeur aux votes pour lesquels le CSE est consulté en tant que « délégation du personnel » n’entraine la nullité du scrutin que si sa participation a faussé le résultat13.
Cette position de la jurisprudence permet de relativiser la difficulté car l’erreur de l’employeur n’entraine pas automatiquement la nullité du scrutin.
Toutefois, la vigilance de l’employeur doit rester de mise car sa participation à tort peut parfois avoir un impact plus important. C’est notamment lorsque l’avis du comité est requis pour procéder au licenciement d’un salarié protégé. Dans cette hypothèse, les membres élus du CSE se prononcent seuls et la participation de l’employeur entraine la nullité de la délibération, et par conséquent, l’irrégularité du licenciement prononcé14. Il convient de souligner que la position de la Chambre sociale est sur ce point très stricte car, en l’espèce, le vote de l’employeur n’avait pas été déterminant pour le scrutin qui aurait, sans sa participation, tout de même recueilli la majorité des voix.
Une fois encore cette solution peut s’expliquer par le fait que l’employeur est à l’origine de la mesure soumise à l’avis du comité. Il ne peut dès lors participer au vote portant sur sa propre proposition.
L’employeur doit donc rester vigilant sur la possibilité dont il dispose, ou non, de prendre part à un vote au sein de l’instance, ainsi que sur les conséquences éventuelles que sa participation pourrait avoir sur le scrutin.
En parallèle, et indépendamment des limites posées par la loi et la jurisprudence, la participation de l’employeur aux votes du CSE est une question de stratégie sociale.
2. La participation de l’employeur au vote est-elle opportune ?
Avant tout développement, il convient de rappeler que le CSE est une instance collégiale. Il délibère, sans condition de quorum, à la majorité de ses membres présents15. Chaque membre, dont le représentant de la Direction, ne dispose ainsi que d’une seule voix, la position ayant recueillie le plus grand nombre de voix étant ensuite réputée comme étant la position du CSE. Ces paramètres sont à prendre en compte pour appréhender au mieux la problématique de l’utilisation de son droit de vote par l’employeur. A noter ici que l’« abstention » ou le fait de ne pas « prendre part au vote » n’est pas une pratique irrégulière, bien au contraire.
Malgré les nombreuses interdictions dont il est frappé, l’employeur conserve un droit de vote pour tous les sujets intéressant exclusivement le fonctionnement interne du CSE. Tel est le cas notamment de la désignation du trésorier et du secrétaire16 et des questions propres à la tenue des réunions du comité comme leur enregistrement ou encore l’adoption du règlement intérieur du comité17. Dans l’ensemble de ces cas, il convient de se poser la question suivante : le président a-t-il intérêt à prendre part au vote ?
À notre sens, il n’existe pas de réponse universelle à cette question. En effet, par le biais de son vote, l’employeur donne expressément son avis sur le sujet visé. Et ce fréquemment devant les membres de la délégation du personnel qui ont donc connaissance de son positionnement, le vote n’étant dans certains cas pas nécessairement secret. Or, en fonction de la problématique concernée et du climat social au sein de l’entreprise, l’employeur peut avoir intérêt à s’abstenir de prendre position.
Ainsi, à l’occasion de chaque vote auquel l’employeur pourrait être amené à participer, il convient de s’interroger notamment sur :
- la finalité du vote ;
- la position des membres élus du CSE sur le sujet ;
- comment le vote de l’employeur se place par rapport à la position des autres membres de l’instance, la délégation du personnel pouvant également ne pas être unie dans son positionnement ?
L’ensemble de ces interrogations visent à mesurer l’impact de la participation de l’employeur à un vote. Au sein du CSE, l’employeur peut régulièrement ne pas défendre les mêmes intérêts que les membres élus. Il peut ainsi être amené à prendre une position qui est distincte de celle défendue par une partie ou la majorité des autres membres du comité. Son vote peut alors faire débat. Pour le Président du CSE, ce peut aussi être l’occasion d’adresser un message politique au sein de de son entreprise, par exemple en s’opposant à une pratique ou une position du CSE, quand bien même il se sait minoritaire au sein de l’instance. Le message est d’autant plus parlant lorsqu’il apparait qu’il soutient une partie de la délégation du personnel à l’encontre d’une autre partie. En termes d’enjeux, le choix le plus difficile apparait lorsqu’une égalité de voix survient entre les membres de la délégation du personnel et que le vote du Président peut être celui qui donnera l’issue au scrutin.
À titre exemple, dans un arrêt de juin 2022 la Cour de cassation s’est prononcée sur un pourvoi formé par un comité d’établissement à l’encontre de l’employeur18.
En l’espèce, l’employeur avait pris part au vote relatif au choix du secrétaire du CSE, comme il est autorisé à le faire. Toutefois, son vote avait fait basculer l’élection en faveur d’un élu plutôt qu’un autre. Le comité a alors saisi le tribunal correctionnel considérant que la participation de l’employeur au vote constituait une entrave au fonctionnement du CSE.
La Cour de cassation a statué conformément à la jurisprudence constante en rejetant le pourvoi au motif que l’élection du secrétaire du CSE intéresse le fonctionnement régulier de l’instance et que le président peut, par conséquent, y prendre part.
La solution dégagée par la Cour de cassation n’est pas nouvelle. En revanche, les faits de cette affaire sont particulièrement intéressants car ils illustrent l’enjeu de la participation du président du CSE à un vote. En effet, dans le cas d’espèce, le dialogue social avec le CSE semble avoir été, au moins temporairement, fragilisé et a donné lieu à un contentieux en raison de la place décisive que la voix exprimée par l’employeur a occupé pour la désignation du secrétaire.
Autre illustration : le sujet de l’adoption du règlement intérieur du CSE, dont l’objet est « de déterminer les modalités de son fonctionnement et celles de ses rapports avec les salariés de l’entreprise19 ». À défaut de règles spécifiques, ce règlement est adopté à la majorité des membres présents, l’employeur pouvant participer au vote. La question se pose alors de l’intérêt pour l’employeur de participer à ce vote pour lequel le contexte ne lui est pas favorable. D’une part, il est minoritaire. D’autre part, le contenu du règlement peut être polémique dès lors qu’il concerne le fonctionnement du CSE. Sur une telle difficulté et pour éviter toute instrumentalisation de la position de l’employeur, par exemple en considérant qu’il s’est associé à l’adoption du règlement en votant et qu’il ne peut plus le contester ultérieurement, l’abstention peut être privilégiée. Et ce d’autant que la société pourra faire valoir ultérieurement, y compris par voie d’exception, l’illicéité d’une clause litigieuse.
Ces litiges démontrent parfaitement la nécessité pour l’employeur de s’interroger préalablement au vote sur l’impact de sa participation sur la décision à intervenir et plus largement d’intégrer cette réflexion dans sa stratégie sociale globale.
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