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Droit de la Santé, sécurité au travail, Droit du Travail, Santé, sécurité & Environnement
par Sébastien Millet

Envoi d’un salarié en mission à l’étranger : des risques pour la santé-sécurité à ne pas négliger !


Envoyer un salarié en mission à l’étranger nécessite une bonne préparation et un suivi adapté de la part de l’entreprise.

La mobilité internationale ne s’improvise pas, même si la facilité à se déplacer peut atténuer la perception de cet enjeu.

A un contexte géopolitique mondialisé de plus en plus instable, qui impacte aussi bien la sécurité des déplacements, les formalités administratives, les règles commerciales etc., s’ajoute la prise en compte des risques sanitaires liés aux conditions de travail et de vie sur place, qui peuvent désormais être aggravées par les conséquences du dérèglement climatique.

En tout état de cause, dès lors que la relation contractuelle de travail continue de relever du droit français (ce qui peut parfois poser d’épineuses questions d’appréciation juridique), l’employeur reste tenu par son obligation de sécurité et d’exécution de bonne foi du contrat de travail. Les conventions et accords collectifs peuvent également imposer certaines obligations de vigilance ou d’assistance particulières.

On peut même dire qu’il s’agit d’une obligation renforcée compte tenu de l’éloignement géographique, qui nécessite que le salarié, volontaire, soit parfaitement informé et préparé aux situations à risque et dispose des moyens nécessaires pour y faire face si besoin.

 

1°) Des marqueurs jurisprudentiels forts autour de l’obligation de sécurité pendant la mission :

Dans une affaire très récente, la Cour de cassation vient de se prononcer sur le cas d’un salarié envoyé en mission à l’étranger en Haïti, qui reprochait à son employeur français de mauvaises conditions de travail et d’hébergement, et de lui avoir fourni un matériel défectueux de filtration de l’eau, à l’origine d’une maladie tropicale contractée sur place (amibiase), et ayant nécessité son rapatriement.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui avait refusé la demande d’indemnisation du salarié au motif qu’il ne prouvait pas que son employeur lui aurait fait boire de l’eau de ville mal filtrée, et qu’il avait manqué à une obligation de prudence élémentaire alors qu’il est notoire que l’eau de ville en Haïti n’est pas potable et qu’il convient de boire de l’eau minérale en bouteille.

Suivant sa nouvelle doctrine sur la charge de la preuve en matière d’obligation de sécurité, elle considère que ces éléments étaient insuffisants pour établir que l’employeur avait effectivement pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, alors que le salarié soutenait par ailleurs que son employeur ne lui avait apporté aucune aide ni assistance faute de matériel conforme, l’avait laissé livré à lui-même malade, et n’avait pas voulu organiser un rapatriement sanitaire.

Le principe est rappelé : « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »

(Cass. Soc. 15 novembre 2023, 22-17733)

Ce qui vaut ici en matière sanitaire, vaut également en matière de sécurité, comme cela avait été jugé dans une précédente affaire plus ancienne mais non moins emblématique, où une salariée expatriée en Côte d’Ivoire avait subi une agression physique.

Faute de pouvoir agir sur le terrain de la faute inexcusable devant la juridiction de la Sécurité sociale française compte tenu de son statut, elle avait pu obtenir une indemnisation devant le Conseil de Prud’hommes.

Au soutien de la condamnation, il était retenu que l’employeur avait manqué à ses obligations contractuelles sans qu’une faute de nature à l’exonérer de sa responsabilité puisse être reprochée à la salariée, alors :

  • Qu’elle se trouvait du fait de son contrat de travail dans un lieu particulièrement exposé au risque ;
  • Qu’elle avait, à plusieurs reprises, alerté son employeur sur l’accroissement des dangers encourus par les ressortissants français à Abidjan ;
  • Qu’elle lui avait demandé expressément d’organiser son rapatriement et un retour sécurisé en France ;
  • Que son employeur n’avait apporté aucune réponse aux craintes exprimées par la salariée ;
  • Qu’il n’avait pas pris en compte le danger encouru par elle et n’avait pris aucune mesure de protection pour prévenir un dommage prévisible.

(Cass. Soc. 7 décembre 2011, n° 10-22875)

Indiscutablement, il y a une dimension d’obligation de sûreté physique dans l’obligation de sécurité et de protection de la santé. (https://www.ellipse-avocats.com/2012/04/de-lobligation-de-securite-des-employeurs-a-lobligation-de-surete/ )

Cette donnée est essentielle à prendre en considération dans l’organisation de l’activité, des tâches et des missions des salariés, tout particulièrement lorsqu’ils exercent une profession susceptible de les exposer à des dangers d’agression ou à en faire des cibles (cf. risques de vol, enlèvement, séquestration, arrestation arbitraire, voire d’attentats pour les travailleurs occidentaux, etc.) ou des victimes collatérales (coup d’état, manifestations violentes, etc.).

On pense notamment aux travailleurs humanitaires, associatifs, journalistes, scientifiques, mais pas uniquement.

L’utilisation des nouvelles technologiques et réseaux sociaux est de nature à amplifier ces menaces, et à générer aussi leur lot de risques psychosociaux pour les travailleurs en mission surtout s’ils sont isolés.

Si sur le papier, le travailleur dispose « à chaud » d’un droit de retrait d’une situation dangereuse « dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection » (C. Trav., L4131-1), mais qui peut en pratique s’avérer très virtuel dans certaines situations.

Cf. Précédente chronique, pour aller plus loin : https://www.ellipse-avocats.com/2019/02/personnel-menace-quelles-actions-pour-lentreprise/

 

 

2°) La boussole des principes généraux de prévention

Pour éviter de devoir en arriver là, il importe d’anticiper les situations de travail et scenarios possibles.

C’est le sens d’ailleurs de la jurisprudence actuelle, qui impose à l’entreprise d’être en mesure de documenter sa démarche de prévention, en la passant au crible des exigences de l’article L4121-1 (obligation générale de sécurité) et des critères de l’articles L4121-2 du Code du travail (9 principes généraux de prévention, et peut-être prochainement un 10e sur l’exigence d’« écoute » des travailleurs).

En particulier, l’évaluation des risques, l’information en continu, la fourniture d’instructions adaptées constituent des points incontournables, au même titre que les questions d’assurance (régimes de base, prévoyance complémentaire, assistance).

*A noter qu’un décret n° 2023-1004 du 30 octobre 2023, applicable au 1er novembre 2023, est venu préciser les informations dues aux salariés appelés à travailler à l’étranger pour une durée supérieure à 4 semaines consécutives, parmi lesquelles figurent des renseignements indiquant si le rapatriement est organisé et ses conditions le cas échéant. Dans sa transposition du droit de l’Union européenne, le pouvoir réglementaire n’a prévu ici aucune exigence d’information relative aux conditions de travail locales, ou liées à la santé-sécurité, ce qui ne signifie pas que l’employeur soit dispensé de se renseigner afin de délivrer une information spécifique adaptée en vue du départ …

Plus généralement, c’est un sujet de management opérationnel des risques en entreprise, qui nécessite une approche globale sur tout le spectre, s’agissant aussi bien la sécurité des personnes que celle des biens et du patrimoine immatériel de l’entreprise (cf. risques divers d’atteinte aux installations, sabotages, corruption, cybersécurité, etc.).

Si les groupes et entreprises de taille mondiale y sont en principe bien rodés, le sujet peut être plus fragile pour des PME qui cherchent à se déployer à l’international.

Clairement, la sûreté et la prévention doivent être considérés comme des investissements indispensables et non seulement comme des coûts.

Il faut également travailler avec méthode sur le volet organisationnel, humain et technique.

La massification du télétravail pose d’ailleurs question, sachant que certaines entreprises tolèrent ou subissent des situations de télétravail depuis l’étranger. Il appartient à l’employeur, dans le cadre du dialogue social, de bien réguler ces situations compte tenu des risques qu’elles présentent (pas uniquement sur le plan de la santé-sécurité).

*A noter qu’une instruction interministérielle n° DSS/2023/155 du 27 septembre 2023 est venue à ce sujet apporter des précisions en matière d’application des règles de Sécurité sociale au niveau de l’Union européenne, concernant en cas de pratique habituelle du télétravail transfrontalier.

A défaut d’avoir une cellule RH dédiée à la gestion de ces situations, l’entreprise aura tout intérêt à se faire accompagner dans ses démarches pour rassurer son collaborateur (et ses proches le cas échéant) et favoriser la sécurité qui garantit le succès de la mission.

 

*Article publié sur www.preventica.com

 



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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