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Droit de la Protection Sociale, Droit du Travail
par Sébastien Millet

Prévoyance, santé et retraite : l'égalité de traitement ne s'applique qu'entre les salariés relevant d'une même catégorie professionnelle


Différencier les catégories de personnel a toujours fait partie de l’histoire de la protection sociale complémentaire, du niveau interprofessionnel (cf. le régime AGIRC) en passant par la négociation de branche jusqu’aux entreprises. Battant partiellement en brèche sa jurisprudence classique en matière d’égalité de traitement, la Cour de cassation vient de reconnaître pleinement la spécificité des garanties collectives en matière de prévoyance, santé et retraite, qui ne sont ainsi pas des avantages comme les autres.

Décisions :

Dans une série d’arrêts rendus le 13 mars 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient un attendu de principe de portée générale : « en raison des particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en oeuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre les salariés relevant d’une même catégorie professionnelle ».

Observations :

Ces décisions ont plusieurs mérites, d’une part en termes de pragmatisme avec la prise en compte de la particularité de ces systèmes et de la réalité de la vie des entreprises ; d’autre part sur le plan de l’amélioration de la sécurité juridique dans un domaine particulièrement complexe.

Or, l’enjeu lié à l’égalité de traitement constitue un risque systémique pour les entreprises. On parle toujours du risque lié à la remise en cause des exonérations sociales, mais les enjeux sont ici beaucoup plus importants si l’on considère les prestations et pas uniquement leur financement.

En tout état de cause, l’application stricte du principe d’égalité de traitement telle que l’entend habituellement la jurisprudence aurait mis à mal les systèmes mis en place dans de nombreuses branches et entreprises, avec des coûts intenables en période de crise et au final, un risque de susciter un mouvement de reflux des politiques patronales en matière de rémunération complémentaire, à une époque où elle deviennent de plus en plus indispensables du fait du recul des régimes obligatoires.

Ces décisions étaient donc particulièrement attendues compte tenu du positionnement des juridictions du fond, notamment dans le domaine de la santé (cf. notamment notre précédent commentaire).

S’il est incontestable que les couvertures complémentaires ont une véritable spécificité, les raisons invoquées n’expliquent pas de manière totalement satisfaisante la possibilité de faire des différences catégorielles. Par exemple, l’objectif de solidarité se résume en fait la plupart du temps en une simple recherche économique de mutualisation (les deux concepts sont bien distincts, et la solidarité est justement mise en avant pour justifier une application généralisé de la couverture ; en atteste la jurisprudence française et européenne au sujet des clauses de désignation et de migration dans les accords de branche). De même concernant l’obligation d’externaliser les risques auprès d’un organisme assureur légalement habilité.

Analyse :

Ces décisions sont d’autant plus intéressantes qu’elles recouvrent les différentes hypothèses litigieuses, et dans l’ordre :

  • Le cas où les garanties sont réservées à catégorie de personnel uniquement (les cadres), les autres n’étant pas couverts pour ces risques ;
  • Le cas intermédiaire où tous les salariés sont couverts, mais avec des différences catégorielles de garanties (et/ou de financement) ;
  • Le cas où l’ensemble des salariés sont couverts mais où l’employeur ne contribue pas de la même manière pour les cadres et les non-cadres.

Désormais, qu’il s’agisse de la prévoyance, de la santé ou de la retraite (la portée est ainsi générale), les garanties complémentaires échappent à la règle traditionnelle selon laquelle la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives étrangères à toute discrimination illicite et dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

La question de l’égalité ne pourra trouver à s’appliquer qu’entre les salariés appartenant à une même catégorie professionnelle. Le risque contentieux sur ce terrain n’est donc pas totalement clos.

Cela étant, il y a là un alignement avec l’exigence de caractère collectif des garanties (nécessaire pour que les cotisations patronales puissent bénéficier des exonérations sociales), celles-ci devant être « les mêmes pour tous les salariés ou pour tous ceux d’une même catégorie » (CSS, R242-1-3). On notera que ce texte (cf. al. 2) prévoit une exception s’agissant des prestations de prévoyance, pour lesquelles « le fait de prévoir des garanties plus favorables au bénéfice de certains salariés en fonction des conditions d’exercice de leur activité ne remet pas en cause le caractère collectif de ces garanties ». Cette référence à des conditions d’exercice professionnel rejoint la jurisprudence : « (…) dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération » (cf. Cass. Soc. 8 juin 2011). Dans l’attente d’une hypothétique circulaire DSS, on pense par exemple à la prise en compte de critères objectifs tels que les facteurs de risque, en lien avec l’accord ou le plan d’action anti-pénibilité de l’entreprise.

Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « catégorie professionnelle », puisque cela constitue le nouveau périmètre d’appréciation de l’égalité en la matière. Contrairement au droit du licenciement économique par exemple, la Cour de cassation n’en donne pas ici de définition et renvoie simplement à la distinction entre cadres et non-cadres.

Or, les entreprises doivent dorénavant se « caler » sur les règles issues du décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012. Celui-ci liste les critères objectifs de catégorisation et identifie 5 grandes catégories objectives de personnel (notamment les catégories de cadres ou de non-cadres, mais en référence au régime AGIRC et pas au sens des « collèges » électoraux du droit du travail). Sauf à couvrir l’ensemble du personnel, les garanties peuvent être réservées à une ou plusieurs catégories de salariés sous réserve que ces catégories permettent de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées. Intervient alors une grille de lecture assignant au cas par cas pour chaque type de couverture, certaines catégories de référence réputées conformes, qui ne sont pas les mêmes selon l’objet des garanties.

Les tribunaux apprécieront-ils l’égalité de traitement au sein des catégories telles qu’elles résultent de ces nouvelles dispositions réglementaires ? L’avenir le dira, d’autant que certains critères visés par le décret, aussi objectifs soient-ils (cf. p. ex. les tranches de rémunération  au sens de la retraite complémentaire), ne vont pas sans heurter l’exigence de pertinence habituellement appliquée avec une grande sévérité en jurisprudence …

En-dehors des situations balisées par le décret, la charge de la preuve du respect du caractère collectif qui pèse sur l’entreprise vis-à-vis de l’URSSAF sera-t-elle facilité par cette nouvelle ligne jurisprudentielle ? Sans doute peut-on l’espérer, mais une grande prudence reste de rigueur.

Tout cela doit enfin être mis en perspective avec le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi en cours de discussion qui, dans le prolongement de l’ANI du 11 janvier 2013, programme d’ici le 1er janvier 2016 la généralisation des couvertures santé (cf. CSS, L911-7 futur), mais également en prévoyance dans un deuxième temps.

Le sujet n’est donc pas clos.

 

 

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Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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