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Droit de la Protection Sociale
par Sébastien Millet

Peut-on prévoir un critère d’ancienneté en matière de couverture de prévoyance et de retraite ?


1°) A quoi sert une condition d’ancienneté ?

 

L’insertion d’une clause d’ancienneté dans l’acte fondateur d’une couverture de prévoyance ou de retraite supplémentaire a pour objet et pour effet de restreindre l’accès aux garanties au sein de la population bénéficiaire.

Il s’agit d’un mécanisme d’exclusion qui peut, selon la durée prévue, jouer individuellement soit de manière temporaire (ex. adhésion au régime à la fin de la période d’essai), soit de manière définitive (ex : CDD dont la durée est inférieure).

En soi, cela est de nature à porter atteinte au caractère collectif de la couverture, dont le respect est indispensable pour que le financement des garanties par l’entreprise puisse bénéficier d’exonérations de cotisations de sécurité sociale.

Pendant cette période d’exclusion, aucune cotisation n’est versée concernant le salarié (pas de retenue en paye notamment), mais en conséquence, le salarié n’est pas affilié auprès de l’organisme assureur et n’est donc pas couvert en cas de sinistre.

En matière de risques lourds (invalidité, décès), les conséquences peuvent être graves, d’où la nécessité pour l’entreprise de s’interroger sur l’opportunité de prévoir ou non ce type de restriction.

Il faut bien considérer qu’en cas d’ATMP par exemple, l’absence de couverture par l’organisme assureur ne pourra qu’inciter le salarié ou ses ayants droit à agir contre l’entreprise sur le terrain de la responsabilité, pour faute inexcusable notamment.

 

2°) Ce que prévoit la réglementation de la Sécurité sociale : principes et exceptions

 

La doctrine administrative, puis la réglementation, est venue encadrer la possibilité d’instituer une condition d’ancienneté.

Par principe, il est interdit de procéder à un découpage catégoriel au sein du personnel en fonction d’un critère d’ancienneté (CSS, R242-1). L’enjeu direct est la remise en cause du bénéfice des exonérations sociales par l’URSSAF en cas de contrôle.

Cette interdiction n’est toutefois pas totale : ainsi par dérogation à ce principe, au sein d’une catégorie objective, « le fait de prévoir que l’accès aux garanties est réservé aux salariés de plus de 12 mois d’ancienneté pour les prestations de retraite supplémentaire et les prestations destinées à couvrir des risques d’incapacité de travail, d’invalidité, d’inaptitude ou de décès, et aux salariés de plus de 6 mois d’ancienneté pour les autres prestations, ne remet pas en cause le caractère collectif de ces garanties » (CSS, R242-1-2).

 

3°) Les points de vigilance en pratique

 

Pour être valable, cette condition doit tout d’abord être stipulée par écrit noir sur blanc, quel que soit le support juridique de l’acte fondateur (accord collectif, accord référendaire, décision unilatérale de l’employeur) ; elle ne peut être simplement « pratiquée » de fait).

Ensuite, elle doit respecter les durées maximales prévues ci-dessus en fonction de la nature de la couverture. Il existe d’ailleurs ici un paradoxe, puisque la réglementation « Sécurité sociale » tolère l’insertion d’une condition d’ancienneté de 6 mois pour les régimes complémentaires santé, alors que la législation « Travail » l’interdit de fait depuis le 1er janvier 2016 dans le cadre de la généralisation des couvertures santé (CSS, L911-7), ce qui a conduit à des campagnes de suppression des clauses d’ancienneté historiques dans de nombreuses entreprises, et à des difficultés par rapport aux accords de branche continuant à en prévoir. C’est une illustration du principe d’indépendance des législations, qui rend la question complexe et parfois difficilement compréhensible pour les acteurs du monde de l’entreprise.

Enfin, au-delà du formalisme, la mise en œuvre de la clause d’ancienneté doit être identique pour tous les salariés.

Dans sa mise en oeuvre, attention par exemple à éviter les « trous dans la raquette », c’est-à-dire à veiller à bien affilier le salarié dès que sa condition d’ancienneté est atteinte. Cela signifie qu’il doit alors cotiser (en cas de cofinancement), mais également qu’il doit pouvoir bénéficier effectivement des garanties dès ce jour, sans attendre par exemple le 1er jour du mois civil suivant.

Pas question également d’utiliser une condition d’ancienneté pour n’exclure que des salariés sous CDD. La clause doit être appliquée de manière uniforme, quel que soit la nature du contrat de travail ou le statut du salarié au sein de la catégorie bénéficiaire. Le cas par cas n’est pas admis, sous peine de remise en cause des exonérations sociales.

Attention, car dans une situation de ce type, la possibilité d’obtenir désormais une réduction du redressement URSSAF proportionnelle aux anomalies réellement relevées serait exclue, dès lors que le manquement à l’origine du redressement révèlerait une méconnaissance d’une particulière gravité des règles liées au caractère obligatoire et collectif des systèmes de garanties …

D’une manière générale, le principe est que la violation du caractère collectif (ou obligatoire) entraîne la requalification de l’intégralité des contributions patronales versées pour le financement de la couverture, concernant tous les salariés (CSS, L133-4-8 I).

La jurisprudence vient de juger que cette règle -qui ne souffrait aucune exception avant le 1er janvier 2016- ne constitue pas une sanction à caractère de punition pour l’employeur, et n’est pas contraire au principe constitutionnel de proportionnalité des sanctions (cf. art. 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – Civ II 15 juin 2017, n° 16-18532 à 536).

 

4°) Une illustration jurisprudentielle sur le cas des CDD :

 

Cette affaire est par ailleurs éclairante sur la question des clauses d’ancienneté (les faits remontaient à 2009, époque où les règles émanaient essentiellement de la circulaire DSS/2009/32 du 30 janvier 2009, qui considérait que « cette condition d’ancienneté doit être appréciée au regard de la seule durée d’appartenance juridique à l’entreprise (et non au regard de la durée d’appartenance à la catégorie bénéficiaire du système de garanties) »).

En l’espèce, une entreprise avait mis en place un contrat de retraite supplémentaire à cotisations définies (« article 83 ») applicable à tous les salariés (employés, cadres, cadres de direction) comptant au moins un an d’ancienneté continue au sein de l’unité économique et sociale.

Problème, lors de son contrôle, l’Inspecteur du recouvrement constate que tout le monde n’était pas logé à la même enseigne, en raison d’une pratique de l’entreprise qui décomptait l’ancienneté contrat par contrat : ainsi, les salariés ayant un CDD de moins de 12 mois ne pouvaient bénéficier du contrat de retraite supplémentaire, même s’ils avaient eu des CDD antérieurs au sein de l’entreprise.

La Cour de cassation confirme le bien-fondé du redressement : « Mais attendu que l’arrêt relève qu’est collectif un contrat qui bénéficie de façon impersonnelle et générale à l’ensemble du personnel salarié d’une entreprise ou à une partie d’entre eux appartenant à une catégorie objective établie à partir de critères objectifs, tous les salariés qui en bénéficient devant se trouver dans une situation identique au regard des garanties concernées ; que l’analyse de la convention démontre que le régime de retraite ainsi mis en place était réservé aux seuls salariés justifiant d’une ancienneté continue de douze mois et excluait, en conséquence, tous les salariés ayant bénéficié antérieurement d’une succession de contrats à durée déterminée au sein de l’entreprise dont le total cumulé s’élevait à douze mois ou plus, l’entreprise calculant l’ancienneté contrat par contrat ; qu’il s’ensuit une différence de traitement entre le salarié titulaire d’un contrat à durée déterminée d’une durée de douze mois et celui qui, justifiant d’un contrat à durée déterminée de moins de douze mois, mais ayant déjà travaillé, antérieurement, dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, avec ou sans période d’interruption, ne bénéficie pas de la prise en compte, dans le calcul de son ancienneté éligible au dispositif, de la durée des précédents contrats ; Que de ces énonciations et constatations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve soumis par les parties et faisant ressortir que le contrat de retraite supplémentaire ne bénéficiait pas à une catégorie objective de salariés, la cour d’appel en a exactement déduit que la contribution de l’employeur, pour le financement de ce contrat, n’avait pas à être déduite de l’assiette des cotisations et contributions litigieuses »

Sur le plan URSSAF, cela ne remet pas en cause la possibilité de recourir à une condition d’ancienneté, mais à condition d’être très vigilant sur le cas des CDD.

Le vice consistait ici à avoir prévue l’exigence d’une ancienneté « continue », ce que la Cour considère comme attentatoire à l’égalité de traitement, donc au caractère collectif (elle relie ainsi très clairement les deux notions, l’une de droit de la Sécurité sociale, l’autre de droit du travail).

 

5°) Affaire à suivre ?

 

Reste à savoir comment ce dispositif serait perçu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, en cas de litige relatif à la question de l’atteinte au principe d’égalité de traitement.

Contrairement à l’idée qui est (trop) souvent répandu, l’évolution jurisprudentielle amorcée à compter de 2013 en matière de protection sociale complémentaire n’a pas totalement tarif les risques de contentieux.

L’attendu de principe selon lequel « en raison des particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en oeuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre salariés relevant d’une même catégorie professionnelle », a pour objet de restreindre ici la portée de l’égalité de traitement, mais pose deux questions :

  • Que faut-il entendre ici par « catégorie professionnelle » ? Les catégories limitativement admises en droit de la Sécurité sociale bénéficient-elles d’une présomption de conformité en droit du travail ? Peut-il exister une place pour d’autres critères valables de catégorisation dès lors qu’une justification objective, pertinente et matériellement vérifiable peut être apportée par l’employeur au regard de l’objet des garanties ? Espérons que la réponse à ces questions soit positive …
  • En tout état de cause, l’égalité doit pouvoir être vérifiée en pratique au sein d’un même périmètre catégoriel.

Il faut préciser qu’en termes de charge de la preuve, celle-ci pèse depuis 2015 sur le salarié lorsque les différences résultent d’une convention ou d’un accord collectif : « Mais attendu que les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

C’est un élément de sécurité (et donc de supériorité) de l’accord collectif sur la décision unilatérale (cf. https://www.ellipse-avocats.com/2017/06/regimes-complementaires-quel-arbitrage-entre-accord-collectif-et-decision-unilaterale-de-lemployeur-apres-la-loi-travail/ )



Sébastien Millet

Avocat associé, Bordeaux

J'ai une activité multiple (conseil juridique, défense au contentieux, formation, enseignement et publications), mais un leitmotiv : la transversalité des disciplines et le management des risques humains sous toutes ses formes, au service de l'entreprise. L'exercice est aussi exigeant que passionnant.

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